Le maître de Garamond, de Anne CUNEO (lu en Ed.: Le livre de poche, n°30190) est pour moi un vrai coup de coeur! Merci à l'amie qui me l'a fait découvrir...


En 1534, à la veille de Noël, Maître Antoine Augureau, imprimeur et fondeur de caractères est, hors de tout procès conforme au droit, déclaré hérétique, pendu puis brûlé avec ses livres sur le bûcher de la honte, celui que la faculté de théologie de la Sorbonne dresse depuis des années déjà pour asseoir son pouvoir. L'enjeu est d'importance, il faut maintenir le peuple dans l'ignorance, l'empêcher de se référer à des textes traduits dans la langue vulgaire qui est la leur, le français! La facilitation de l'accès aux écritures d'origines ne peut être admissible pour ces théologiens qui exploitent le peuple par leurs sermons dont le sens est parfois à l'opposé du message originel. La papauté a consacré le commerce des messes et des indulgences, puits de revenus prélevés auprès du peuple à qui il suffit de faire peur face aux affres du jugement dernier. "Dieu ne pourra les pardonner de tous leurs méfaits s'ils n'ont pas contribué à la puissance de l'Eglise romaine en se délestant de leurs maigres revenus pour racheter leur salut!" Si facile à dire lorsqu'on se pose en hommes de Foi, détenteurs de la Connaissance et qu'on cache, derrière le charabia interprétatif des textes, l'essence même du message de pardon d'amour prôné par le Christ!


Luther, Calvin, les évangélistes, Marot, Rabelais, les intellectuels les plus brillants des débuts de la Renaissance et, avec eux, tous les imprimeurs qui osent deviner l'avenir qui s'ouvre au monde, tous ces éveilleurs de conscience sont tracassés, pourchassés, déclarés hérétiques. Pour la Sorbonne, toute personne les soutenant, osant rapporter leurs propos ou simplement ne pas s'en offusquer, doit être soumise à cette inquisition et promise au bûcher. Que d'obscurantisme, au nom de Dieu! Que d'énergie malfaisante dépensée dans le seul but de s'octroyer un pouvoir intellectuel sans fondement!


La mort d'Antoine Augureau, Maître Claude Garamond, son plus célèbre disciple, ne peut l'accepter. Sous la plume habile de Anne CUNEO, il va entreprendre le récit de sa vie, du gamin apprenti jusqu'au Maître graveur qu'il est devenu dans la ligne humaniste de son Maître Antoine. Il nous conte ainsi la fidélité, l'engagement réciproques entre Maîtres et apprentis. Il fait la part belle à la noblesse de coeur, à la droiture et au dévouement sans limite des petits gens envers les justes. Il étaye son récit par l'apport de contes anciens, de farces jouées sur la place publique, d'extraits de grands textes qui, deviendront plus tard, des monuments de la littérature française! Le récit est vivant. On chemine avec Claude Garomond., on a faim et froid avec lui, on apprend, on lutte, on gagne et on perd avec lui. On fait nôtre ses émotions, sa participation aux échanges d'idées, sa soif de justice, son obsession de la réalisation parfaite. Une histoire d'apprentissage. Un parcours de vie d'une violence, d'une âpreté et d'une exigence qu'on oublie trop souvent de réaliser lorsque, distraitement parfois, on ouvre et feuillette un bouquin sans trop penser aux combats qui ont été menés pour que nous ayons accès à la lecture!


De manière romanesque, certes, mais solidement ancrée dans les recherches historiques menées, Anne CUNEO nous offre le récit de l'épopée de quelques sages en quête de vérité, de sens et d'ouverture au monde nouveau qui s'offre à eux. Ils ont pour noms: Luther, François Rabelais, Marguerite de Navarre, Mâitre Antoine Angureau et son disciple Garamond à qui on doit l'invention des accents, de la cédille, puis la gravure des caractères typographiques qui sont à la base de ceux qui servent notre lecture aujourd'hui.


Et c'est là une autre raison d'appréciation sans limite de ce livre. On y découvre le récit du combat des imprimeurs pour nous permettre de lire en langue vulgaire, la nôtre, celle qu'on comprend le plus aisément. Combat, on le verra, porté au péril de leurs vies. Combat pour que puisse naître un caractère qui facilite pour l'oeil le plaisir de la lecture et de la découverte du sens. Que serions-nous devenus, nous, amoureux des livres, si de tels géants n'avaient pas combattus pour un savoir partagé, accessible, fécond pour une pensée libre, ouverte et confiante en ces temps nouveaux qu'il nous faut toujours tâcher de comprendre au plus près de nos réalités? Que serions-nous devenus?


Enfin, ce livre est criant d'actualité lorsqu'il met au jour les méfaits de serviteurs faussaires des idées fondatrices des religions. La faculté de théologie de la Sorbonne au 16e siècle, les fondamentalistes de l'Islam aujourd'hui. Les raisons sont les mêmes, non? Asseoir un pouvoir sur le dénis du droit à la connaissance, à la compréhension, à la mise en débat et perspectives d'idées qui auraient tout à gagner d'être discutées, proposées, jamais imposées!


Le Maître de Garamond, un livre d'histoire qui invite au respect des anciens et qui nous ouvre à la compréhension de l'avenir. Un livre à partager!

François_CONSTANT
9

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le 29 mars 2015

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