Bahrâm Sâdeghi (1937-1984) est l’un des premiers écrivains modernes du XXe siècle en Iran. Il s’est surtout fait connaître avec ses nouvelles, sauf chez nous évidemment et il faudra espérer que la traductrice Julie Devigneau continue son travail de reconnaissance en traduisant les quelques nouvelles que l'auteur aura laissées. Une trentaine et un seul roman.
Difficile alors de se faire une idée sur cette seule lecture. En attendant, Le pays du non Où (Malakout) est une découverte curieuse, n'optant pour aucun genre précis. Des personnages surnaturels dans des situations réelles ou son contraire qui rappelle au film qui m'a d'ailleurs amenée à cette lecture : Valley of Stars de l'iranien Mani Haghighi.
Au fil de la lecture, le récit oscille entre mystère, volonté diabolique ou fatigue des Dieux et profonde dépression. Avec un sens de l'absurde et de l'ironie teinté de réalisme magique, on est quand même loin de Gabriel Garcia Marquez, et ces contes décalés et un certain malaise accompagne le déroulé avec ses personnages en prise avec l'adversité, sans bien savoir ce qui risque de leur tomber dessus. Tout à leur admiration d'un étrange personnage, médecin philosophe particulièrement inquiétant dans son rapport aux soins, ou au contraire tout à leurs ruminations égoïstes, ramenant à la vanité de l'espèce humaine. Chaque personnage se voit en prise avec ses angoisses et ses peurs, malhonnêtes évidemment envers eux-mêmes, se satisfaisant de leur vie sans réelle conviction, ou cherchant l'approbation de leurs actes, et que cet étrange personnage décidera à sa manière de réveiller. Mais qui est-il vraiment et que leur fait-il ? On ne le saura pas, enfin on n'est pas sûr de la finalité.... L'important n'est pas non plus que Monsieur Toutamour soit possédé par un Djinn, comme ça, naturellement et par un coup du sort.
Révélant leur part d'ombre voire de noirceur, leur traumatisme et les actes qui s'ensuivent ou leur quête d'amour, ce groupe se verra confronté malgré eux à la notion de destinée, où le libre arbitre est mis à mal. Vue de l'esprit et ligne ténue entre le bien et le mal, c'est surtout un effet miroir du genre humain et de ses travers, une sorte de désolation mentale pour une vision pessimiste, et où la mort risque d'être l'ultime sursaut salvateur. Le récit se déroule alors la nuit et appuie le mysticisme et la frontière avec l'invisible et son danger imminent alors que l'ensemble se teinte- parfois- d'une joyeuse insouciance.
L'écriture fluide, croise le dialogue, le monologue et le journal, quelques envolées poétiques et un humour en décalage qui vient en porte à faux d'un récit plutôt délétère finalement et pas si fantastique que ça..
Ce que je veux exprimer est le même état qui est en moi et en mes personnages […] Ils sont toujours en balance, entre l’espoir et le désespoir, entre croire et ne pas croire, entre le désir de la vie et le fait de la dénier […] Moi, je suis égaré dans mon âme entre ces deux côtés. D'un côté, j’ai l’espoir d’établir la justice, de construire une société où l’on peut vivre. Or même avec tout cela, la vie est encore absurde, sans but.
En 1976, on lui décerna le prix Forough Farrokhzâd.