Pour ne pas oublier les "oublieux"...
C'est la mode, me direz-vous, ces histoires d'Alzheimer. C'est la mode parce que c'est partout : il n'y a guère de familles désormais qui ne se trouve touchée, de près ou de loin, par ce fléau, naguère appelée "démence sénile", mais qui peut aussi toucher les plus "jeunes", comme la mère du narrateur, diagnostiquée "Alzheimer" à l'âge de 60 ans.
L'originalité de ce roman est, à travers les 8 années et quelque qu'aura duré la maladie, de faire parler à la fois la malade et celui de ses enfants qui a choisi de s'occuper d'elle. Évidemment, les pensées de la malade, surtout quand la maladie est bien installée, sont fantasmées, supposées, imaginées, extrapolées à partir des situations (souvent incongrues et loufoques, tristes à pleurer ou à rire nerveusement) du quotidien. Très finement, le calendrier est un peu brouillé, le journal de Madeleine commençant dès le diagnostic, "jour A", celui du fils Thomas attaquant directement lorsque la maladie a commencé son lent travail de sape.
Intéressant à bien des points, surtout 2 à mes yeux : d'une part, essayer de se mettre dans la tête du malade, essayer de retranscrire ce rien ou ce truc bizarre qui doit occuper son esprit (car quand on côtoie un malade, on est souvent amené, je le sais par expérience, à se demander "mais à quoi pense-t-il, là tout de suite", car on est face à un inconnu, bien souvent...); d'autre part montrer le fardeau que constitue cette maladie pour l'entourage, qui se retrouve à s'occuper d'une personne certes dépendante, mais souvent totalement étrangère, transfigurée par la maladie, parfois agressive, mutique, mais toujours amoindrie, métamorphosée.
Enfin, il y a quand même la question de l'oubli, le titre du roman étant très finement choisi, la fin y faisant écho avec une justesse et une sensibilité remarquables.
Je suis très contente d'avoir côtoyé ce dernier oublié, moi qui côtoie depuis 15 ans un "oublieux" ; cela m'a permis de voir à quel point, même si cette maladie connaît des évolutions et des manifestations très diverses, à des vitesses très dissemblables, le résultat pour l'entourage reste le même, à savoir se sentir démuni. Qu'il est difficile de se savoir oublié, même involontairement... Bref, une lecture forcément éprouvante lorsque l'on traverse une expérience similaire, mais finalement au résultat très positif, car ce récit plein de tendresse, d'humilité, d'autodérision (frisant l'humour parfois), réconcilie avec l'idée de la famille, avec une certaine idée du destin aussi...