Le livre commence en avril 1956 en Algérie. Leila vit avec sa famille dans un quartier où les Français sont majoritaires. Ses amies sont françaises, Leila et ses soeurs partagent leurs occupations entre leurs tâches domestiques, l'école et le jeu avec leurs copines. La présence militaire se fait de plus en plus forte, les heurts entre communautés s'amplifient. La famille de Leila paie son tribut à la guerre, un frère de Leila disparait, son père est incarcéré dans un camp puis relâché. C'est une période traumatisante pour Leila qui perd ses amies françaises et doit fuir Alger pour être plus en sécurité, elle se retrouve au collège à Blida dans une école où les arabes comme elle, sont rares.
En 1962, l'Algérie devient indépendante, maîtresse de son destin. Mais les choses difficiles commencent pour ce pays soumis aux tensions entre différentes factions. Peu à peu l'islamisme gagne du terrain, les femmes sont stigmatisées, elles doivent rester à leur place, porter le voile. Leïla devenue jeune fille, est athée, elle ne parle que l'arabe parlé et le français. Pour elle l'arabe classique que le gouvernement cherche à imposer est quasiment une langue étrangère. Dans ce pays qu'elle participe à reconstruire elle ne se reconnaît plus. Face aux dangers qui la guettent mais aussi par goût et par désir de liberté elle va choisir l'exil surtout qu'elle est mariée à un Français. Elle ne veut pas voir grandir ses filles dans ce pays.
Dans ce récit où deux générations s'expriment, celle de Leïla puis celle de sa fille, il est question d'identité, de racines. L'identité de Leïla est bouleversée par le conflit, elle y perd ce qu'elle avait toujours connu, la présence française, l'école française, la langue. Cette langue qui l'a construite qui l'a faite telle qu'elle est, ou plutôt sa double langue, l'arabe parlé et le français. Elle va d'ailleurs trouver un palliatif à ce déchirement, un temps, en s'occupant d'enfant sourds muets et en apprenant la langue des signes, la langue de l'émotion. L'identité de Leïla va être bouleversée aussi sur le plan religieux. La religion a toujours eu une place importante dans la vie de sa famille de son peuple, Dieu est partout dans la langue, mais Leïla, elle, est athée, elle va se rebeller contre l'islamisme de plus en plus présent. Elle va tenter de se reconstruire en opposition à cette Algérie islamiste.
Pour Dalya, le problème d'identité est différent, c'est la troisième des filles de Leïla elle n'a pas connu la vie en Algérie, ne parle d'ailleurs pas l'arabe. La construction de sa personnalité est rendue difficile par ce qu'elle ignore de ses origines, sa mère ne lui parle pas en arabe seulement en français. Elle est tiraillée entre ses deux cultures, l'une dans laquelle elle vit mais dans laquelle elle n'arrive pas à se fondre totalement et l'autre, la culture algérienne, qui lui est inconnue mais qui agit comme un manque dans sa vie.
Zakia et Célia Héron, mère et fille, nous livrent ici un récit sur la guerre, l'exil, l'identité. Un récit passionnant, poignant sous forme de journal. Un livre où la mer est une frontière entre soumission et liberté, entre présent et passé pour les deux femmes. Cette mer que l'on franchit parfois pour les vacances mais avec la peur au ventre, celle de ne peut pouvoir revenir. Une frontière physique qui n'empêchera jamais les souvenirs, les bons et les moins bons de voguer d'un pays à l'autre.
"Une goutte tombe du plafond, brulante sur ma nuque.
Algérie. Une guerre, puis une autre. Dans la première nous étions "les autres". Dans la seconde, le "nous a implosé, ouvrant le champ à de nouveaux affrontements. Guerre gigogne.
Une autre goutte s'écrase.
France. Un peu de ce "nous" de là -bas se retrouve ici. Jeux de miroirs, ironie de l'histoire. Presque une histoire drôle sans tous ces morts. Comme dirait Coluche "On ne sait pas qui sont les autres et qui nous sommes, nous."
Que fait-on si on est pris dans le feu croisé de regards, sans humanité, sans humour?"