Le Roi fantôme aborde la tentative d’invasion de l’Ethiopie par l’Italie fasciste de Mussolini de façon surprenante, à plusieurs égards.
Tout d’abord, là où les récits de guerre sont souvent l’apanage des hommes, ici l’autrice embrasse le point de vue des femmes éthiopiennes, qui ont joué un rôle très important dans le conflit. A l’image fantasmée que l’on a pu retrouver dans la propagande italienne, à laquelle le pathétique Ettore a contribué, Mengiste oppose la concrétude de leurs actions, à travers les personnages très forts d’Hirut et Aster : supports militaires, soldates, prisonnières de guerre, elles deviennent même, le temps d’un nouveau genre de carnaval, la garde rapproché du fameux « roi fantôme ».
L’originalité de l’oeuvre tient aussi dans le genre littéraire choisi : là où l’Italie fasciste n’a de cesse d’appuyer de façon totalement artificielle sur la fibre épique dans son récit de propagande (matérialisée par l’affreux Fucelli), la véritable épopée est composée, de façon assez magistrale, par Maaza Mengiste : le choeur, comme dans les pièces antiques, commente d’un point de vue externe certaines scènes ; on y retrouve aussi la forme chorale de l’Iliade, avec sa multitude de personnages qui ont tous et toutes leurs moments de bravoure ; et bien sûr le destin tragique qui lie tous ces personnages, car la guerre, chez Homère, ne trouve aucun vainqueur.
Et c’est bien cela, le nerf du livre. La guerre y est montrée comme une matrice infinie de déchirements, s’étalant sur des décennies. Le 1er conflit qui a opposé l’Ethiopie à l’Italie, à la fin du 19ème siècle, a hiérarchisé le peuple abyssinien, amenant ses « héros » à soumettre ses simples soldats, ce que l’on voit parfaitement dans la relation entre la famille de Kidane et celle d’Hirut. Elle entretient et favorise aussi des mécanismes de domination virilistes, mis en avant par l’autrice dans les deux camps.
De cette guerre de 1935, il ne restera que quelques photos de propagande, le souvenir du fantomatique Selassié, revenant triomphant de sa cachette anglaise; mais tout le monde aura oublié le Roi fantôme et sa garde de soldates. Merci à Maaza Mengiste de nous avoir rafraîchi la mémoire.