Si Qadehar le Sorcier posait les bases d’un univers sympathique sans vraiment réinventer la roue, gageons que Le Seigneur Sha lui emboîte le pas avec justesse : toutefois, le second tome de la trilogie phare d’Erik L’Homme ne fait pas que s’en tenir à de gentilles bases, les péripéties de Guillemot et sa clique d’amis fidèles (et plus encore) gagnant ici en incertitudes… et donc saveur.
Un soupçon de paradoxe s’impose alors, le Monde Incertain se voyant majoritairement mis de côté en dépit de son supposé statut hautement dangereux : pourtant cela n’a rien d’un mal tant l’auteur va creuser avec efficacité le potentiel du Pays d’Ys et, plus globalement, le jeu des pouvoirs à l’œuvre. Au même titre que le recul qu’elle impose, cette relecture invoque toutefois d’en connaître le détail à l’avance, les identités du Seigneur Sha et de l’Ombre étant ainsi connues : l’occasion toute indiquée de déterminer si le tout est bien ficelé…
Une question à laquelle nous répondrions volontiers par l’affirmative, L’Homme brodant un récit facile dans son exécution mais travaillé dans sa profondeur (relative, mais palpable). Sa capacité à brouiller les cartes l’atteste, l’attaque de Gifdu complexifiant l’échiquier en maintenant le doute quant aux intentions de ces personnages clés et/ou perturbateurs ; dans un registre plus « folklorique », l’introduction jouasse de ces diables de Korrigans accouche d’une séquence originale à l’échelle du Livre des Étoiles, ce clan tierce proprement ambivalent ayant de la suite dans les idées.
En ce qui concerne enfin son quintet d’enfants-héros, L’Homme étoffe à petit feu les aléas sentimentaux liant le groupe, de quoi nous renvoyer plutôt bien à nos propres émois d’antan. La progression de « l’élu » Guillemot se veut également probante, ce dernier ne se reposant pas sur ses « lauriers » et jouant parfaitement le jeu du surdoué inexpérimenté ; l’arrivée de Bertram, trublion mal dégourdi mais n’ayant pas sa langue dans la poche, est pour sa part une addition de choix tant le jeune sorcier compose une pièce originale et complémentaire au sein du groupe (pour ce qui est d’Agathe, seul sa propension à provoquer le malaise chez son sauveur semble prévaloir).
Et puis, nous retiendrons surtout du Seigneur Sha l’assaut de Djaghataël : bien que le roman s’inscrive dans une démarche « jeunesse », édulcorant par voie de conséquence la séquence et son impact chez le lecteur, le massacre relaté par L’Homme n’en demeure pas moins significatif et contraste énormément avec le ton général de l’œuvre (telle que développée jusqu’ici), d’autant plus que Qadehar le Sorcier avait échoué à faire du Monde Incertain une entité redoutable.
Sans atteindre des sommets, ce second volet fait donc un peu mieux et suscite de belles promesses quant à la conclusion à venir… affaire à suivre.