Retour aux sources de l'humain
Après la chiraquienne décision de créer un musée des Arts dits premiers, Somerset Bienvenue, ethnolinguiste au Musée de l'Homme sentant son service voué à la disparition, remue ciel et terre pour trouver un moyen de remplumer son prestige et le rendre indispensable à la recherche française.
Somerset Bienvenue a une grande gueule, mais ses arguments ne parviennent pas à faire mouche. En désespoir de cause, il suit une intuition bizarre, en l'occurrence une machine qui permettrait de lire le relief des poteries faites au tour, restituant la voix du potier au moment où il exécutait son travail.
Alors que l'armée US envahit le Kenya pour des raisons «humanitaires», Somerset Bienvenue se retrouve en Tanzanie à la recherche de la langue originelle des Hadzabé, découverte qui redorerait le blason de son service.
Ce qui frappe d'emblée dans l'écriture de Marc Vassart, c'est qu'elle est presque «parlée». Cet auteur est en effet plus un conteur qui s'adresse à nous par le biais du livre, qu'un écrivain qui nous décrit son univers imaginaire en nous imposant son point de vue prétendument objectif. Chez lui (comme dans toutes ses histoires: les nouvelles de «La Peau du monde», ou ses deux autres romans «Glace noire» et «Les larmes étaient leur pardon»), on ne doute jamais que ce qu'il nous dit est issu de la réalité, même - surtout - lorsque cela paraît incroyable.
Vétérinaire de profession, il n'a pas son pareil pour nous parler de nous-autres-les-humains à travers les animaux, sans pour autant s'abaisser à les anthropomorphiser (encore moins à les caricaturer, tel un vulgaire Bernard Werber). Ce regard relatif et subtil nous renvoie à une humilité que de nombreux bipèdes ont oubliée dès lors qu'ils ont appris à marcher. On apprend donc énormément de choses en lisant Marc Vassart, des petits détails qui en disent long sur notre planète et sur notre espèce. C'est qu'il est un lecteur assidu et consciencieux qui sait redistiller son savoir dans des histoires passionnantes.
«Le Serval noir» est un digne héritier des «Racines du ciel» de Romain Gary, en ce sens que, sous un prétexte qui ne paraîtra futile qu'aux partisans d'un libéralisme borné, il aborde un sujet qui sera demain primordial. Oui, Marc Vassart est un défenseur de l'écologie intelligente; mais il n'est pas écologiste au sens militant du terme. Pour lui, l'écologie est bien plutôt une évidence; il dit tout simplement qu'on ne peut pas vivre sur une planète sans tenir compte de ses besoins.
A vrai dire, il n'est sans doute pas innocent que le héros du «Serval noir» - qui n'a rien d'un Indiana Jones, puisque les pires dangers qu'il doit affronter sont ceux de l'administration et du monde qui l'a vu naître - travaille au Musée de l'Homme, l'une des seules institutions scientifiques françaises à avoir donné naissance à une organisation résistante pendant la Seconde Guerre mondiale.
Si Marc Vassart n'est pas Romain Gary, il est assurément romancier, ce dont certains écrivains vivants feraient bien de prendre de la graine ; en effet, tels les membres de l'expédition Stanley suivis par le Hadza à la fin du «Serval noir», ils préfèreraient crever de faim dans une oasis de connaissances en massacrant les indigènes pour leur voler leur nourriture plutôt que d'apprendre à vivre comme eux.
«Le Serval noir» est un roman d'aventures véritables, du genre que tout un chacun pourrait vivre en s'arrachant à la routine plutôt que d'attendre qu'elle leur tombe dessus. Qui plus est, c'est un roman tous publics, parce qu'il concerne tout le monde. A lire comme un conte africain, par petits bouts, le soir autour d'un feu, en traversant un désert - celui de la télévision, par exemple?