Loin d'être un brûlot rageur contre la présence française en Afrique, "Le vieux nègre et la médaille" joue plutôt sur un ton sarcastique et moqueur pour dénoncer les méfaits et les hypocrisies qui ont été (et sont sans doute toujours) les traces manifestes de la présence blanche dans son pays, le Cameroun. Mêlant authenticité (le récit est fait entièrement du côté des noirs) et comédie (la vraie, celle qui amuse, mais aussi celle du pouvoir en place) , Ferdinand Onoyo fait un portrait désabusé de ses concitoyens sous le joug français, des indigènes fiers traités comme des bon à rien par les autorités et rendus confus par l'emprise d'une religion étrangère qui se moque ouvertement d'eux. On s'amuse, mais on rit jaune au cours de ce chouette et dépaysant récit.
Le sujet du récit est bien sûr polémique en soi... Un vieil homme, Meka, de son nom, doit recevoir une médaille pour le récompenser de ses bons et loyaux services durant la guerre (lui qui a donné ses deux fils, morts pour la Fraaannce...). La population du village est enthousiasmée de l'honneur qui lui est fait, d'autant qu'on suppute que c'est le Président français qui va venir. J'ai bien aimé cette partie du récit qui se passe de cases en cases, lorsque la nouvelle se transmet comme une traînée de poudre, avec ces réjouissances, ces commentaires naïfs et ce tailleur qui confectionne un costume "zazou" pour le héros du jour.
Oyono aère l'action avec un détour par un autre personnage, le beau-frère de Meka, avec qui on va traverser la brousse pour atteindre la grande ville, une autre opportunité de plonger dans la réalité traditionnelle de ce pays.
Evidemment les choses se compliquent avec la cérémonie elle-même, un rite blanc en pleine chaleur, où Meka est transformé en statue souffreteuse aux contours chaplinesques. Les militaires, le missionnaire du coin (celui qui a spolié Meka en le convaincant que Dieu avait soudainement "besoin de ses terres") , les policiers violents et veules, bref la grande foire du colonialisme fait là son apparition, avec une vision de biais qui révèle tous les angles facheux . Le récit devient plus grave et Oyono recherchera la vérité du peuple dans son histoire (la rencontre avec les premiers "fantômes"), dans ses traditions et surtout, surtout, dans son grand rire rabelaisien.
Un roman bien ficelé, souvent amusant, et que je recommande pour son regard africain et lucide.