Leçons d’une pandémie est un article publié en mai 1919 par l’ingénieur et épidémiologiste états-unien George Soper à propos de la grippe espagnole. Évidemment, sa traduction en 2020 par les éditions Allia, que leur catalogue suffit à disculper de l’accusation d’opportunisme, n’est pas fortuite.
Le texte est court – vingt-cinq petites pages, auxquelles s’ajoute une notice biographique – et absolument dépourvu de style et d’ambition littéraires, ce qui paraît logique. Encore notera-t-on qu’en 1919, le langage d’un expert en maladies entretenait encore quelques liens avec le réel.
« Étant de nature respiratoire, on suppose que le virus quitte le corps par le nez et la bouche et qu’il y pénètre par le nez, la bouche et les yeux » (p. 21), écrit Soper. C’est affreusement lourd, mais il faut essayer d’imaginer ce que ça donnerait dans le sabir économico-technocratique qui en 2020 tient lieu d’outil dans les communications officielles… (L’hypothétique demi-douzaine de lecteurs et -trices de cette critique peuvent toujours se lancer dans un concours de traductions.)
Mais c’est évidemment sur le terrain de la prémonition qu’on attend quelque chose de ces Leçons d’une pandémie ; plus précisément, sur le terrain des liens entre la grippe espagnole et la Covid-19 (1). On n’est pas déçu : dès la première page, « Le plus stupéfiant dans cette pandémie, c’est le mystère total qui l’entoure. Nul ne semble savoir ce qu’est la maladie, d’où elle vient, ni comment y mettre fin. Les esprits anxieux se préoccupent de la survenue d’une nouvelle vague ».
La suite est à l’avenant : en dehors de quelques notations circonstancielles, il n’y a pratiquement pas une phrase portant sur l’épidémie de 1918-1919 qui ne s’applique aussi à celle de 2019-2020 (?). Or, si à mon sens, en disant cela Soper dit déjà tout de la pandémie, il n’en dit finalement pas grand-chose.


Son domaine, c’est l’épidémiologie. Il a le mérite de s’y limiter, là où notre crise sanitaire a fait croître le contingent des épidémiologistes amateurs encore plus vite que le nombre des testés positifs. Il a l’autre mérite de savoir qu’on ne lit pas dans les éprouvettes comme dans le marc de café, ce que pas mal de monde a oublié, y compris des scientifiques. (Je ne dis pas que de tels comportements sont propres à notre époque.)
Il me semble que ce qui fait la spécificité de la pandémie actuelle, et qui la rend au moins aussi dangereuse pour la santé mentale que pour la santé physique, c’est – au moins en France – la façon dont elle est gérée (2). Or, à ce sujet, les Leçons d’une pandémie ne disent rien.
L’article se clôt sur une liste de « douze règles […] recommandées par le chef des services de santé de l’Armée et publiées sur ordre du secrétariat de la Guerre ». Certaines relèvent du bon sens, d’autres paraissent étranges ou dérisoires, mais je crois que si en 2120, il existe encore des humains qui sachent déchiffrer nos protocoles sanitaires, ils se foutront salement de nous.


(1) Aussi appelée SARS-CoV-2… Notez qu’au début du siècle dernier, les maladies avaient encore des noms de maladies – fussent-ils trompeurs quant à l’origine du mal – ou de docteurs. Avec le sida est venu le temps des acronymes. Au XXIe siècle, on jurerait que les maladies portent les noms des robots que Star Wars a laissés de côté.
(2) Tiens, encore du novlangue ! À une époque, c’est les sociétés commerciales qu’on gérait. Les pandémies, on cherchait à les éradiquer.

Alcofribas
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le 5 sept. 2020

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