Hervé Bourges a rencontré plusieurs fois Senghor, au cours de sa carrière de journaliste, et commence son livre par ses souvenirs d'interviews, mais aussi sa présence aux funérailles du 29 décembre 2001.

Le livre suit un ordre chronologique clair.

- Chapitre 1 : Ultime rendez-vous, sur les funérailles.

- Chapitre 2 : Territoires premiers : nature et honneur
Ce chapitre revient sur l'enfance de Senghor. Né en 1906 à Joal d'une riche famille d'agriculteurs/négociants sérères, Senghor est élevé dans la foi chrétienne (qui est souvent présente dans ses poèmes, à ma surprise). Sa petite enfance est rurale.

- Chapitre 3 : Nouvelles conquêtes : Dieu et les Grecs.
En 1914, il est envoyé à l'école du Saint-Esprit àN'gasobil. La reine de Saba est un motif qui le fascine dans la Bible. Il passe ensuite au collège Liebermann à Dakar, puis en 1927 au collège Louis-le-Grand à Paris, où il côtoie Georges Pompidou. Au contact de la culture classique, qu'il assimile parfaitement, il se persuade que la culture africaine mériterait un traitement similaire.

- Chapitre 4 : la rupture de la négritude : "Mais je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France".
La fin des années 1930 voit se créer un petit groupe d'étudiants noirs à Paris : des Antillais (Damas, Césaire, Sainville, Maugrée) et Senghor. Inspirés par l'ouvrage provocateur "Batouala" (1921) de René Maran, et par des intellectuels noirs américains comme Du Bois, ils fondent la revue "L'étudiant noir", basée à la Cité Universitaire. C'est là que se développe le concept de négritude, qui affirme la singularité de la culture africaine, mais aussi son apport à l'histoire de l'Humanité. Concept plus tard critiqué comme une transition nécessaire, par exemple par Sartre dans sa préface à l'"Anthologie de la nouvelle poésie nègre..." Avec l'aide de Gide et d'autres (Leiris, Monod, Sartre...), en 1947, naît la revue "Présence africaine".

- Chapitre 5 - Le destin politique : le long chemin de l'indépendance.
Pendant la guerre, Senghor a profondément détesté l'occupant allemand. Il espère, comme d'autres, que la Libération s'accompagnera d'une émancipation des colonies françaises, associées à la métropole. En 1945, avec Amadou Lamine Gueye, il se fait élire représentant du Sénégal au sein de l'Assemblée constituante qui met en place la IVe république, en même temps qu'Houphouët-Boigny, Sissoko (Niger), etc... Senghor cherche, mais n'obtient pas, une indépendance qui regrouperait en une vaste fédération l'Afrique de l'ouest et l'Afrique équatoriale. En 1946, deux événements importants : son mariage avec Ginette Eboué, la fille de Félix, et sa démission de la S.F.I.O., à la discipline trop contraignante (à cause d'elle, il ne participe pas au congrès fondateur du Rassemblement Démocratique Africain. En 1958, quand De Gaulle donne l'indépendance en échange de l'adhésion à la COmmunauté africaine, le Sénégal y adhère. Bourges attribue à Senghor la gloire d'avoir obtenu pour son pays d'être le premier à obtenir la pleine indépendance en 1960.

- Chapitre 6 - L'aboutissement démocratique
Bourges est assez discret sur Senghor au pouvoir. Il parle certes du tandem formé avec Mamadou Dia, président du conseil et cofondateur avec Senghor de l'UDS (Union Démocratique du Sénégal, rebaptisé UPS en 1958), l'éviction de Dia après sa tentative de coup de force, mais il glisse vite sur la révision de la constitution (au départ inspiré de la IVe République, la constitution sénégalaise renforce les pouvoirs du président en 1963) et la censure. Même flou pour ce qui est du bilan économique : Bourges parle d'un socialisme à la Sénégalaise, sans vraiment préciser ce qu'il entend par là. Même brièveté en ce qui concerne la répression de mouvements populaires liés aux années de sécheresse. Enfin on peut tempérer l'installation de la démocratie, puisque Senghor, candidat unique, obtient 100% des suffrages en 1973. On trouve quelques anecdotes sur l'exactitude légendaire de Senghor, sa manière personnelle de tester ses collaborateurs (en leur demandant un devoir sur "L'éthique à Nicomaque"), sur son goût pour la gymnastique quotidienne, sur le financement de "Le soleil", journal officiel, ou encore "Le politicien", premier journal satirique africain. Et puis il y a l'arrivée de Wade, tempérée par la démission de Senghor, le 31 décembre 1980, laissant les clés du pouvoir au grand maigre Abdou Diouf.

- Chapitre 7 - Les combats de l'esprit.
Dernier chapitre sur la retraite de Senghor en Normandie, à Verson, sur ses combats en faveur du multiculturalisme (il parle de l'avènement d'une "Culture universelle", qui ne doit pas empêcher de rester attaché à ses racines), sur son entrée à l'Académie française (premier noir, il s'attira quelques remarques acerbes), sur la tragédie de la mort de deux de ses enfants, Philippe et Guy. Bourges conclue sur une citation de Mitterrand.

L'ouvrage est abondamment et magnifiquement illustré, chapeau pour le travail du maquettiste. Comme je l'ai dit, on peut regretter, comme toujours dans ce genre de biographie, l'absence de regard critique, notamment pour le volet politique. Quelques questions mériteraient d'être élucidées, par exemple le passage du Sénégal à Louis-Le-Grand. Cela posé, le livre de Bourges offre un regard intime et assez personnel avec son objet d'étude. C'est déjà ça.
zardoz6704
7
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le 9 mai 2013

Critique lue 180 fois

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