Si l'on peut supporter les clichés du genre et de l'époque (les arts populaires nous donnent un accès direct aux mentalités), force est d'admettre que Haggard est bien le grand auteur de romans d'aventures apprécié par ses pairs.
Chaque personnage de la petite troupe d'amis joue un rôle dans le récit (même le ''petit singe'' français), et ancre notre intérêt pour cette énième réécriture des histoires traditionnelles. Aussi stéréotypés fussent-ils, le vieux chasseur blanc, le beau jeune premier, le savant ventripotent, le fier guerrier Zoulou et le risible français permettent une implication dans la lecture que ne facilitent pas les archétypes désincarnés des contes et légendes.
En recyclant les classiques à la sauce ''aventures exotiques'' (des colonisateurs), Haggard fait partie des fondateurs des nouveaux mythes eux-mêmes pillés pendant le XXe siècle.
Dans le roman Allan Quatermain comme dans l'Odyssée ou la saga d'Arthur, l'amour initie un récit de guerre - mais ici c'est le désir de deux reines pour un même homme qui la provoque (et ces personnages duels de bonne blonde et de brune maléfique se retrouveront dans Flash Gordon, dans Den, etc...).
Et si le Français devient l'homme de paille de la brune jalouse de sa soeur, le guerrier Zoulou autrefois pareillement manipulé, met en garde le ''savant'' du groupe aveuglé par le désir contre les manigances de la femelle en rut. L'auteur semble ainsi nous dire qu'il ne nous croit pas dupes des vieilles ficelles, mais aussi que les hommes sont partout les mêmes. Le dernier arrivant du groupe, que ne lie pas une vieille amitié, devient donc le traître de l'histoire ; mais hormis les relents de vieilles rivalités intra-européennes (puisque c'est le Français), il semble que certains des meilleurs auteurs de romans d'aventure aient fait preuve d'une tolérance vis-à-vis des autres cultures, d'un relativisme et d'un recul envers la leur, sans même avoir fait l'expérience directe de la rencontre avec une autre civilisation.
Appréciation qui s'applique à Rice Burroughs mais qui sera plus mesurée envers Conan Doyle et Kipling :p
À part ça, l'intrigue traîne la patte à l'arrivée dans la civilisation perdue.
Quelques savoureux extraits :
''Quel sinistre destin n'attend pas l'homme qui devient le jouet d'une femme sans scrupule, voire le jouet d'une femme tout court? L'avenir d'un tel homme est aisé à tracer : une fois que la dame de ses désirs peut se passer de son aide, elle le rejette comme une marchandise usagée et le condamne à affronter le monde, seul, à la recherche de son honorabilité perdue.
Pendant que je méditais sur l'horrible sort du mâle soumis à la mante religieuse...''
''Ah cette civilisation, à quoi sert-elle? (...) La civilisation n'est que le vermeil de la sauvagerie (...) Ainsi oscille la balance et se continue l'histoire - ici un gain, là une perte''
''J'affirmerais volontiers que l'homme blanc est formé des mêmes éléments constitutifs que le sauvage, avec cette différence que celui-là possède un sens de l'invention uni à une faculté de combinaison et que celui-ci, selon mon expérience, reste dans une grande mesure libéré des désirs de richesses qui, telles un cancer, dévorent le coeur de l'homme blanc.''
Qui, de plus, a la langue fourche, c'est universellement connu.