Les certitudes du doute est un livre au fort pouvoir de hantise. Hantise au sens de cette "poétique de l'absence" dont parle Georges Didi-Huberman pour parler des lieux brûlés de Claudio Parmiggiani, artiste associé à l'Arte povera des années 60. Au début du Génie du non-lieu, Georges Didi-Huberman écrit : "Les choses de l'art commencent souvent à rebours des choses de la vie". A rebours. Cette expression me reste à l'esprit quand je pense à l'effet produit par l'écriture de Goliarda Sapienza dans ce livre. Effet qui est bien "à rebours", qui remonte en moi, depuis des semaines, revient, comme un ressac, comme le retour d'un refoulé. Tout à l'heure, dans le métro, j'ai pensé à ce passage merveilleux du livre, sans doute mon préféré, où Roberta raconte à Goliarda la trajectoire fulgurante et terrible d'une de ses amies, sa chute dans la drogue et dans l'extrême pauvreté. Vita povera, non pas au sens d'une vie amoindrie, d'une "petite vie", mais au contraire d'une vie nomade et difficile à saisir, comme l'art pauvre de Parmiggiani. J'ai lu Les certitudes du doute comme j'aurais traversé les lieux de cendre inventés par le plasticien italien, comme on traverse une maison où les meubles sont couverts de draps, où la poussière nous prend à la gorge et nous donne envie de rire ou de pleurer. Pour expliquer le projet de son cycle autobiographique, Goliarda Sapienza utilise, dans une note de son Carnets datée du 22 janvier 1990, l'image du boomerang. C'est ça. Le certitudes du doute est un livre boomerang qui, à la manière des fantômes, revient nous hanter longtemps après sa lecture. A la manière de cette mémoire labile de l'enfance, ces souvenirs que l'on ne saisit qu'au hasard, sans faire exprès. Souvenirs qui nous reviennent en éclats en certaines occasions, dans certaines circonstances et qui nous échappent ensuite jusqu'à la prochaine fois. Ces "pauvres souvenirs", ces souvenirs nomades. Lucioles qui passent, comme Roberta à la toute fin du livre, des "ténèbres à la lumière", et des lumières à la nuit.

Romain_Lossec
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 15 livres pour mon naufrage

Créée

le 27 janv. 2021

Critique lue 159 fois

6 j'aime

2 commentaires

Oscar Semillon

Écrit par

Critique lue 159 fois

6
2

Du même critique

Oblomov
Romain_Lossec
10

Inventer un personnage par le néant

Comment faire un portrait ? Gontcharov me l'apprend. Il écrit Oblomov comme ces toiles où les traits du visage n'apparaissent que par l'effet d'un incompréhensible mirage que la peinture opère...

le 26 mai 2021

7 j'aime

Les Certitudes du doute
Romain_Lossec
8

Hantise

Les certitudes du doute est un livre au fort pouvoir de hantise. Hantise au sens de cette "poétique de l'absence" dont parle Georges Didi-Huberman pour parler des lieux brûlés de Claudio Parmiggiani,...

le 27 janv. 2021

6 j'aime

2