Comment faire un portrait ?
Gontcharov me l'apprend. Il écrit Oblomov comme ces toiles où les traits du visage n'apparaissent que par l'effet d'un incompréhensible mirage que la peinture opère. Mirage ou miracle produit par la matière même de la peinture qui, par lignes et couleurs, défait la vision, m'empêche de voir ce qui est devant moi, pour reconnaître, dans une rêverie, les traits d'un personnage. Oui. Oblomov est un personnage. Mais, puisqu'il ne fait rien, c'est par ce qu'il ne fait pas qu'il m'apparaît. Travail d'épluchage. Personne qui se défait puisqu'il ne peut pas se faire. Formidable appareil où l'écorché ne laisse pas entrevoir ses chairs vives, mais ses pensées avortées, ses gestes inaccomplis, le domaine inexploité de ce qui aurait pu être mais n'est pas. Qui est celui qui n'agit pas ? Personne. Oblomov est un formidable roman, une entreprise bouleversante parce que Gontcharov parvient à inventer un personnage par le néant. Cet Oblomov qui ne fait rien édifie pour moi, lecteur, qui ne fait rien de plus, un territoire du vide où surgit, comme dans la peinture, inexplicablement, le portrait vif, parfaitement incarné, d'un homme qui n'est constitué que de rêves. "Livre du sommeil" disait-il.