A ma grande honte, j'ai roupillé pendant la projection d'Orfeu Negro au cinéma il y a quelques mois, moi qui ne pionce jamais au cinéma. Une grande première que j'attribue à l'usure provoquée par les rythmes de samba à fond les ballons, qui ont dû saturer mon attention et acculer mon cerveau à ce black out salutaire. Mais quand la libraire de Tonnerre a organisé une rencontre avec Estelle-Sarah Bulle à Tanlay, avec une petite formation musicale pour reprendre les thèmes ultra connus du films, l'occasion était trop belle de me réconcilier un peu avec le chef d’œuvre dont j'avais tant entendu ma mère parler (ni en bien ni en mal, d'ailleurs). Je suis entrée dans la relecture que l'auteure propose de la création du film avec une connaissance à peu près nulle du contexte artistique. Mais, après tout, il s'agissait d'une histoire de création, pas besoin de mettre des noms et des visages sur ses protagonistes pour en saisir les enjeux. D'autant que l'auteure a une jolie plume et sait agencer un récit en donnant du corps à ses héros. Autant de bons points. Cette réussite formelle culmine, à mon sens, dans la scène se déroulant chez une sorte de sorcière du candomblé, qui prend d'un coup des accents qui m'ont rappelé quelques grands écrivains latino-américains, comme si tout le livre avait convergé subtilement vers ce passage un peu surnaturel et que l'auteure trouvait là sa véritable dimension, en nouant subtilement les trames éparpillées des destins de ses personnages. Après, la tension retombe et on s'achemine vers un final en demi-teintes dont on comprend bien les enjeux sans toutefois trouver dans leur illustration de quoi tenir vraiment en haleine. D'autant qu'après le triomphe du film à Cannes, le récit plante là ses personnages, ou presque, pour brosser un tableau plutôt sombre de la destinée politique du Brésil sous la botte malfaisante des militaires. J'aurais préféré que tout reste incarné jusqu'au bout, même si je comprends la tentation encyclopédique de l'auteure. Comment dissocier en effet les destins individuels de la physionomie politique de leur biotope ? Mais bon, malgré tout, cette lecture de printemps a tenu ses promesses et j'en ressorts édifiée, bien décidée à m'intéresser au seul pays non hispanophone d'Amérique Latine, dont je ne sais pas grand-chose en réalité...