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Le texte :
Je pense que je vais être une voix légèrement discordante dans la tonne de louanges déversées sur la pourtant charmante frimousse d’Ingrid Desjours…
Pour commencer, le thème choisi par Ingrid Desjours pour ses fauves est tout sauf simple. Casse-gueule, glissant, à double tranchant, verglacé, sur le fil du rasoir… je vous laisse faire votre marché mais force est de constater que s’attaquer au djihadisme et aux occidentaux qui partent en Syrie s’embrigader chez Daesh n’est pas une mince affaire et se casser les dents y est plus aisé que d’en faire jaillir une pépite.
Haiko, responsable d’une association ayant pour objectif de déradicaliser les jeunes se radicalisant jusqu’au départ pour le djihad en Syrie, d’abord par la persuasion puis par l’enlèvement avec l’autorisation des familles (les jeunes sont envoyés à l’étranger pour subir un second lavage de cerveau), se retrouve sous le coup d’une fatwa. Vraie ou fausse ? Lancée par Daesh ou opération de publicité ? Toujours est-il que son amie et associée, sur le point de démissionner de l’association, est assassinée en pleine rue dans un simulacre qui n’est pas sans rappeler les attentats du 7 janvier… Haiko est contrainte par sa mère de prendre un garde du corps qui va monter une petite équipe pour assurer sa sécurité.
Les personnages d’Ingrid Desjours sont tous fracturés, fissurés : Haiko par son enfance (voir sa naissance), Lars (le garde du corps) par son passé de militaire en Afghanistan, Jonas (un des « assistants » de Lars par son islamisme, etc… Cela n’en fait pas pour autant des personnages avec un relief particulier car ils sont tous trop caricaturaux et mono-facette. Ils ne sont pas ce qu’ils prétendent être, ce qu’Ingrid Desjours nous laisse voir d’eux, mais ils ne sont que des masques et n’ont donc pas plusieurs facettes.
Cela étant dit, Ingrid Desjours sait clairement distiller les informations au compte goutte et envoyer son lecteur sur de fausses pistes. Sa façon de présenter les informations au lecteur selon l’angle qu’elle souhaite permet à Ingrid Desjours d’orienter notre point de vue et de maintenir un flou indispensable au suspens.
Malgré tout, je n’ai pas été emballé par ce récit qui, en voulant instiller le doute dans les motivations d’Haiko, ne parvient pas à enlever de ses méthodes la chape de violence induit par l’enlèvement (et pose clairement la question de la fin justifiant les moyens dans la mesure où Haiko répond à une manipulation des esprits par une autre manipulation… cette « double peine » n’est-elle pas trop violente pour les jeunes qui la subissent ? Quelles conséquences sur des cerveaux soumis à un lavage en bonne et due forme ?), qui aborde la question de l’équilibre psychologique des militaires rentrés choqués de la guerre en Afghanistan en en faisant des tonnes sur Lars, victime de séquestration par les talibans et humiliés psychologiquement et physiquement par ses geôliers…
Un roman donc un peu trop manichéen à mon goût qui ne laisse guère d’espoir au lecteur sur la santé mentale des uns et des autres. Le monde d’Ingrid Desjours est noir mais mérite mieux que ces fauves.
Cette nouvelle collection de Robert Laffont mérite elle aussi une autre chance, à travers « Tu tueras le père » de Sandrone Dazieri ou « Tout le monde te haïra » d’Alexis Aubenque (le premier est déjà sorti, cela ne devrait pas tarder pour le second). Un jour peut-être.