Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas laissée prendre à un roman épique de fantasy et pourtant ce roman-ci était dans mon pense-bête depuis plusieurs années. Il aura fallu une critique élogieuse (une de plus !) - celle de jamik en l’occurrence - pour me décider à franchir le pas.
Uchronie. Ou comment cela aurait pu se passer si... Avec des si, on refait le monde et Guy Gavriel Kay en a créé un très proche de notre XVème siècle occidental, alors que la Chevalerie avance ses derniers pions et que l'Espagne musulmane vit ses dernières heures de gloire.
En Espéragne, royaume jadis uni et désormais déchiré entre Jaddites et Asharites, les grandes cités des "khalifes" provoquent l'admiration des voyageurs par la somptuosité de leurs monuments et la poésie de leurs jardins aux fontaines chantantes, bien plus que par les vertus discutables de leurs mœurs ou la visite interdite de leurs ghettos kindaths. Sur ce fond tendu comme un décor de cinoche, plusieurs protagonistes, hommes et femmes, rois, guerriers, poètes et médecins se rencontrent et se confrontent. En l'espace de quelques années, leurs destinées vont se bousculer.
Bien que divertissant et addictif, "Les lions d'Al-Rassan" ne m'ont pas complètement séduite et si j'ai passé un agréable moment de lecture, j'en suis plus redevable à ma persévérance qu'à l'éditeur (J'ai lu) qui a truffé de coquilles et d'approximations de traduction un récit qui heureusement, à part quelques tours de passe-passe temporels, est plutôt bien structuré.
Quant à l'auteur, si j'ai apprécié l'univers qu'il a créé, je lui reproche de ne pas m'avoir suffisamment dépaysée. Et oui, je suis assez exigeante et j'attends de la fantasy qu'elle me transporte assez loin de mes repères habituels. Or ici, j'ai eu le sentiment d'être en pays conquis, de trop facilement démasquer Chrétiens, Musulmans et Juifs derrière les peuples qui du coup ne présentaient pas à mes yeux de grandes particularités : en gros les Jaddites sont des Croisés avinés donnant dans l'obscurantisme féodal, les Asharites sont de raffinés conquérants amateurs de poésie et de palais ombragés, enfin les Kindaths sont d'excellents médecins mais bouc-émissaires désignés de l'Humanité. J'ai donc regretté, parmi d'autres choses, que l'Espéragne soit nommée l'Espéragne (un peu trop transparent), que Dieu soit appelé autrement que Dieu mais qu'on fasse sans arrêt référence au diable (qui lui ne change pas de nom (sic)), etc.
Mais sinon, côté action, ça dépote plutôt pas mal, c'est seulement dommage une fois encore que le récit souffre de longueurs à des moments où l'on souhaiterait que le rythme s'intensifie. Mr Kay doit être un homme bavard, ça se ressent dans son écriture.
Au global, une bonne découverte quand même, retenons plutôt les qualités que les défauts de ce roman qui semble en avoir inspiré pas mal d'autres, à commencer par "Le trône de fer" auquel j'ai irrésistiblement pensé à de nombreuses reprises. Un peu de magie et de "fantaisie" auraient permis, j'en suis certaine, d'en faire une oeuvre vraiment marquante, à la manière d'un Tolkien ou d'un Jaworski ; il manque parfois un petit rien pour faire un grand tout.