Banville, Barbey d’Aurevilly, Bouchor, Bourget, Cladel, Flaubert, etc. : les récits des Morts bizarres sont dédiés à des gloires littéraires parfois oubliées de la seconde partie du XIXe siècle. C’est que le recueil relève de ces fleurs séchées de la littérature fin-de-siècle que sont les « contes cruels », avec Maupassant et Mirbeau – et pourquoi pas le Baudelaire du « Mauvais Vitrier » – en semeurs, et pour la cueillette le Villiers de L’Isle-Adam des Contes cruels, précisément, et des Nouveaux Contes cruels, le Léon Bloy des Histoires désobligeantes et, donc, le Jean Richepin des Morts bizarres. Puisque la comparaison paraît s’imposer, et toutes considérations quant à l’ultra-catholicisme mises à part, ce sont Bloy et Villiers qui s’en tirent le mieux : il serait faux de dire que l’athée est fin. Non, le calembour n’est pas glorieux, mais l’humour de Richepin est lui aussi assez épais.
Non, vraiment, le rire dans ce recueil m’a posé problème. De la part de Richepin, censément poète des gueux et admirateur de Vallès, je m’attendais à ce que ce soit sur les puissants et les présomptueux que le ridicule portât. Or, il faut avouer que l’auteur tire dans toutes les directions. Si les Morts bizarres les plus réussi(e)s – faut-il ici prendre mort au sens de décès ou de décédé ? je crois que les deux conviennent – sont les récits à la première personne, auxquels on peut joindre « Le Chef-d’œuvre du crime », c’est qu’on n’y retrouve presque pas ce sentiment de supériorité sous-jacent de celui qui ne se moque ni de lui-même, ni de ses semblables. Sentiment présent ailleurs dans le recueil – alors que même Baudelaire… Bref.
En-dehors de ce côté « Regardez-les, comme ils sont défectueux », on trouve dans le recueil de Richepin d’autres choses bien moyennes – quand l’auteur se pique de psychologie ou expose ses lectures – mais aussi des réussites. Ainsi les récits militaires ne sont-ils pas dénués d’intérêt, où l’on voit à quel point la guerre franco-prussienne a détruit les corps et les âmes d’une génération – lire aussi ce qu’ont écrit Mirbeau, Maupassant, Bloy ou Huysmans sur le sujet. Il y a également quelques trouvailles stylistiques : « C’était sous bois, le matin. La brume accrochée aux broussailles se déchirait à l’éclair des coups de fusil. » (dans « Le Chassepot du petit Jésus »). Et quelques beaux passages où, en effet, la cruauté et la bizarrerie éclatent.
P.S. : Pourquoi les éditions de l’Arbre vengeur ont-elles supprimé « Une histoire de l’autre monde » de leur réédition des Morts bizarres ? Est-ce que sa longueur et son rythme (p. 185) auraient dissuadé un lecteur qui achète du Jean Richepin en 2009 ?
Bon, je ne suis pas éditeur. Mais Richepin, lui, a fini académicien.

Alcofribas
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le 21 oct. 2016

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