Les mots qu'on ne nous dit pas
Fille de parents sourds moi-même, c'est la première fois que je lis quelque chose qui porte sur le sujet. Il faut dire que, jusqu'ici, je n'ai pas eu le sentiment que l'on nous ait consacré grand chose, donc kudos à Véronique Poulain pour son initiative. Je l'ai acheté hier soir, et j'ai fini de le lire ce soir. Il faut dire que le livre n'est pas très épais : 140 pages, de gros caractères, et ce n'est pas une histoire suivie mais plutôt un enchaînement d'anecdotes racontées en une ou deux pages. Ça se lit très vite !
La lecture est simple, très hachurée dans sa présentation, puisque on passe de petites histoires en petites histoires, mais ce n'est pas désagréable. Je me suis pas mal reconnue, voire BEAUCOUP reconnue dans la majorité des anecdotes, mais à la différence de Véronique Poulain, je n'ai pas ressenti et vécu la surdité de mes parents de la même façon. Elle m'a laissé une impression plutôt négative dans son rapport à la surdité pendant son enfance et adolescence, des réactions parfois brutales face au monde extérieur, alors que je l'ai toujours vécu comme une fierté décomplexée. Mais les familles sont toutes uniques, justement, et c'était particulièrement enrichissant de lire son témoignage, surtout qu'on n'a pas grandi à la même époque (elle est des années 60-70, moi des années 90-2000). Les anecdotes du quotidien m'ont été les plus parlantes, parce que je constate que quelle que soit l'époque, on a vécu finalement pratiquement la même chose. Le besoin d'avoir le son de la télé à la maison pour avoir une 'compagnie', les bruits insupportables qu'ils font sans s'en rendre compte (l'aspirateur à 8 h du matin, la mastication à table, plus notamment), les crises de nerfs, la honte face à certaines situations, la fierté face à d'autres, leur maîtrise parfois difficile de la langue française écrite...
A souligner aussi très notamment ce passage du livre où elle met en avant l'absence de concepts abstraits et la compréhension souvent très "brute" des choses. Oubliez la psychologie, la philosophie et toutes ces choses qui sont finalement 'peu concrètes', peu matérielles. Il n'existe pas non plus de second degré, de sous-entendus ou d'expressions, ce qui crée parfois de gros problèmes de communication et de compréhension dans les échanges avec leurs enfants entendants. Véronique Poulain évoque à un moment donné le fait que son père aurait préféré avoir une enfant sourde, parce qu'il aurait ainsi pu la conseiller, la comprendre, la guider. Mes parents n'ont pas partagé ce souhait (c'est même tout l'opposé), mais je le comprends. Quand l'enfant entend, il appartient à un autre monde, dont les parents ne peuvent pas appréhender les règles. La distance est alors plus importante, et la communication plus difficile. C'était très bien qu'elle le souligne.
L'une des choses que je n'ai en revanche pas retrouvée, ce sont les responsabilités et le fait de devoir mûrir très vite pour pouvoir au mieux les aider. Mais elle explique dans le livre que ses parents ne la sollicitaient pas énormément pour de l'aide pour les tâches quotidiennes (outre la traduction dans les moments classiques, comme chez la boulangère ou pour les films/infos), ce qui constitue peut-être une petite différence avec mon propre vécu.
En tous les cas, c'est agréable de pouvoir lire la façon dont une autre personne a grandi dans ce contexte si particulier aux yeux du reste du monde, mais finalement très normal pour nous. C'est la confrontation avec le monde extérieur qui rend notre situation unique.
Ceci dit, c'est marrant, parce que je sors de ma lecture un peu... blasée, en fait. Mais pas négativement, je ne sais pas si ça a du sens. Parce que je suis baignée dedans au quotidien depuis que je suis née, tout m'a paru extrêmement familier, c'est peut-être pour ça. Ce n'est qu'à partir du moment où j'ai lu quelques commentaires au sujet du livre que j'ai pris conscience que certains des passages pouvaient paraître amusants, vus d'un œil extérieur, et c'est rafraîchissant d'avoir le point de vue de personnes extérieures.