C'est un roman à l'atmosphère très particulière, où il semble ne se passer pas grand-chose.

Victor Baniev est un écrivain en vogue qui s'attarde dans une ville de province pour régler la garde de sa fille. Il loge à l'hôtel, et passe son temps à boire avec le Dr. Kvadriga, une épave qui s'est vendue au gouvernement et a perdu toute dignité, Pavor, un inspecteur de l'hygiène envoyé par le pouvoir central, qui furète un peu partout et Golem, le médecin qui travaille à la léproserie.

En effet plusieurs éléments sont étranges : il pleut sans arrêt depuis plusieurs années ; certains habitants souffrent de la "maladie des lunettes" : des tâches jaunes apparaissent autour de leurs yeux, puis sur tout le visage, puis on ne sait ce qui leur arrive, car ils sont parqués dans une mystérieuse léproserie, d'où ils entrent et sortent à leur gré, mais dont personne de sain, pas même le chef de la police, ne peut pénétrer l'enceinte barbelée. Les "binoclards" ou "hommes de la pluie" sont par ailleurs très populaires auprès des enfants, lesquels se désintéressent au contraire de leurs parents. En dépit de leur impopularité et de l'hostilité des autorités locales, ils semblent bénéficier du soutien des hautes sphères - le général Pferd et le président lui-même, qui ont dépêché sur place un petit gars et un grand escogriffe.

L'histoire se décompose en 12 chapitres, avec un rythme qui me rappelle "Du futur faisons table rase" de Womack : le roman donne une image bouffonne de l'ordre en place, avec ces scènes d'orgie où les dignitaires se ridiculisent en gaminerie au sanatorium. La société est pourrie : le fils du maire appartient aux "chemises dorées", qui aimeraient casser de l'"homme de la pluie", et une équipe de sport sous pluie, les "Fils de la Raison", essaie tant bien que mal de s'entraîner. Et bien sûr, Baniev reçoit une

Le roman est parcouru d'une atmosphère d'attente eschatologique, mais le héros est rarement plongé au milieu de l'action, et l'action avance plutôt à coups de conversations décousues et de confidences d'ivrognes. Chose intéressante, si l'action est uniquement focalisée sur le héros, ce dernier a souvent de longs monologues intérieurs, pesant la crédibilité de ce que dit son entourage immédiat, ou partant dans des fantasmes d'écrivain. Comme si le moi pouvait surtout s'exprimer dans une dimension intérieure. Pas étonnant que le livre, malgré toute allusion directe, ait été interdit en URSS.

Je ne sais pas trop quoi penser de la trame narrative et du mystère des "mutants". Cela fonctionne par épisode, et la tension repose sur le fait que l'on aimerait vraiment savoir ce qu'il y a dans la léproserie, mais on ne le sait jamais.

Attention spoiler, sautez le paragraphe suivant.

Tout part d'un incident que l'on ne comprendra qu'après-coup : Pavor et deux types essaient d'enlever un "homme de la pluie", sous les yeux de Baniev, qui se fait assommer. Puis Baniev va au sanatorium retrouver sa régulière, Diane. L'ex-mari de celui-ci est devenu un mutant. L'histoire suggérera qu'il est capable de modifier son corps à volonté, mais aussi de développer des capacités comme par exemple devenir un danseur d'élite. Puis Baniev, sollicité par les enfants du collège de venir faire un speech, découvre que ce sont des surdoués qui ont lu tous ses livres, et les enfants le mettent sur la défensive quand ils l'accusent de montrer les tares de la société sans rien proposer de positif pour la changer. Lors d'une sortie, Baniev tombe sur sa fille avec un homme de la pluie et l'emmène, mais ils semblent avoir un lien silencieux. Le maire propose à Baniev d'écrire un article contre les hommes de la pluie - on apprend qu'apparemment ils ont besoin de lire autant que de manger : privés de livres, ils meurent. Plus tard, alors que la police arrête un camion transportant des livres pour la léproserie, Baniev vole le camion et l'amène à bon port. Un mutant se déplace au poste de police et intimide le commissaire en suggérant qu'il a le bras sacrément long. Baniev s'en tire. Vers la fin du roman, le rythme s'accélère mais tout devient plus confus. Les enfants disparaissent brusquement pour aller à la léproserie. Victor se saoûle alors que Golem semble disposé à tout lui expliquer. Quand il se réveille, il fait nuit et la lune apparaît dans un carré régulier découpé dans les nuages. Il croise un jeune soldat qui gardait la léproserie, mais dit ne plus pouvoir supporter son office ("Hier encore, il en est arrivé un du ciel, il s'est posé sur le poste de garde et a observé... Ses yeux n'étaient pas humains, rouges, lumineux, et ils sentaient le souffre à plein nez"). Puis il ne pleut plus et tout le monde fuit la ville sur fond de sirène. Victor décide de rester avec Diane, et voit arriver sa fille et son copain, qui semblent avoir grandi et être devenus de jeunes adultes. La ville disparaît lentement.

Alors, a-t-on affaire à des extraterrestres, à une invasion divine à la Lovecraft, à des mutations entraînées par la pollution, ou bien tout cela n'est-il qu'une mise en scène du pouvoir ? Les auteurs lancent plusieurs pistes, laissent le lecteur libre de son choix. C'est le genre de livre fait pour laisser libre cours à toutes les théories.

Intrigant, vraiment...
zardoz6704
7
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le 1 sept. 2013

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zardoz6704

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