Promesses de surréalisme, on hésitera à qualifier de "nouvelles" ces dix-neuf éclats de narration, presque haïkus de nouvelles tant est lapidaire la forme d’une ou deux pages (mais on n’est pas dans du Fénéon quand même). Ou peut-être faut-il parler de pierres plates, de galets ovnis en guise de nouvelles, eut égard au caractère lisse et improbable de cette littérature d’idées, d’idées magiquement animées et poursuivies comme autant de Vénus d’Ille anti-platoniciennes dont le verbe manifesterait l’incroyable fuite dans un réel caverneux.
Ces nouvelles font chacune briller le prisme d’une réflexion dans sa potentialité fantastique. Ce n’est pas pour rien que Borges énonçait que la métaphysique est une branche de la littérature fantastique. S’ouvre alors le bal des fantasmagories : un plafond vivant, un dieu-coquillage, une télévision qui se rêve micro-onde, des bourdons qui se rêvent termites, des dissidents soviétiques schizophrènes, le fossile d’une humanité de songe, des amours de moustiques, la bible lue avec des coquilles par des philologues du futur, et caetera.
L’adjectif « farfelu » employé par l’auteur en quatrième de couverture est plus juste que de parler de surréalisme, malgré le titre reprenant les Pas perdus (1924) de Breton, car celui-ci énonçait non seulement l’introduction du Rêve dans la vie – préoccupation nervalienne et romantique – mais se revendiquait de l’inconscient et de ses mécaniques pour opérer une révolution intégrale de l’humanité. Comme le vocable « romantique », le « surréalisme » a subi le même devenir épidémique, « hystérique » (encore un terme dont l’extension prodigieuse est symptomatique) et même s'il y a là dans chaque nouvelle un écho au "peu de réalité" du monde, on est encore loin du surréalisme.
On aurait donc plus raison je pense de qualifier ce livre de chimère de fantaisie, de sottie et de farfelu malrucien qui, rappelons-le, à l’époque du surréalisme, imaginait une divergence de l’imaginaire vers un monstrueux artificiel, rond, ovoïde, prêt à enfanter des mondes bizarres. Pourtant on sent bien aussi quelque chose d'une « paranoïa critique » à la manière de Dali derrière le principe de ces nouvelles : une sorte d’attention à une idée regardée avec une intensité folle, jusqu’à en faire émerger l’absurde folie poursuivie sur une ou deux pages avec humour et onirisme.
Sauf qu’à la jubilation de l’insolite réalisé manque parfois le relief d’une situation avec ses aspérités et ses angulosités, ou encore l’humanité d’un personnage à visage mobile – ce que l’on n’a qu’à de trop rares exceptions (je pense à Darwin et à son homo somniator dont la longueur de la prose, avec sa mélancolie et son mystère se distinguent dans « Le feu de Saint Elme ») tandis que l’overdose d’idées et de situations cocasses menace. Livre fourmillant Les Pas perdus d’Étienne Verhasselt ont la variance des miscellanées pour cœur et la constance de l’insolite en guise de sang.