Il faut d’abord jeter un sort à la bibliomancie facile qui évoque les figures de Gracq, du Jünger des Falaises de marbre ou du surréalisme comme pour expliquer la charge de pierre tentaculaire et explosive de ce livre. Pour lui rendre hommage, sûrement, mais aussi poser des blocs noirs d’écriture familier dans le territoire inconnu et dépaysant qu’il propose.



  • De Gracq il n’y a pas le vertige de la précision, la surabondance adjectivale, la géographie soignée, écoutée, sentie, bue à chaque page.

  • De Jünger rien de la mythification, de la simple dichotomie du monde, du roman de l’ordre, rien d’entomologique.

  • Du surréalisme : rien de l’écriture automatique ou des associations inconscientes au cœur du projet.


Le destin de sourcier du critique a toujours trouvé son tarissement dans son projet même : les sources n’éclairent pas l’originalité, mouvement propre de l’œuvre mais seulement la perspective du critique, ni d’ailleurs ne considèrent le processus décomposition-recomposition de l’œuvre où chaque lecteur ajoute à la bibliothèque infinie des extraits de ses propres univers de référence.


Cela est d’autant plus vrai – ou presque – pour ce livre aux confins du surréalisme. Un surréalisme des confins, où je retrouve pour ma part un peu de Mandiargues – lui aussi lointain compagnon du surréalisme – dans précision classique de la langue, l’utilisation du récit (proscrit par le « Manifeste »), et l’érotisme toujours présent et toujours sublimé dans son évocation, se révélant dans des états mentaux proches de l’hallucination. Il y a aussi du Kafka et du Blanchot dans l'attente infinie qui conduit somnambuliquement le narrateur et les événements.


Le tissage autour de la métaphore filée des statues poussant telles des plantes n’est pas une pure association inconsciente, comme le souhaite Breton, mais une idée, qui développe peu à peu ses virtualités : fantastiques, certes, mais aussi symboliques, terriblement, figures de l’inconscient collectif des « jardiniers » et puis enfin, métalittéraire.


Car l’auteur le reconnait : la poussée de ces statues aux multiples réalités lui est venue en opposition au mythe qui court depuis Edgar Poe sur l’absolue détermination du créateur sur tous les éléments d’un poème ou d’une histoire. Et si l’ouvrage a un tel écho parmi ses lecteurs, a-t-on envie de risquer, c’est que l’écriture est elle-même de cette qualité statuaire, à l’image de ces statues : tantôt fascinantes, tantôt mortelles, parfois monstrueuses, et toujours de cette grande abstraction faite de mystère qui habite la pierre vivante.


Mais la grâce de ce livre est de ne pas du tout imposer cette vue métafictionnelle mais de tisser entre eux ces différents niveaux de lecture pour faire de cette évocation des « contrées statuaires » quelque chose d’inédit et de sans mesure, où s’affronte la mesure et la démesure, l’ordre végétal, minéral, et l’ordre humain, le chaos, l’amour et le deuil, dans une grande fresque passionnante et où l’écriture domine, séduit, caresse avec une beauté classique de Canova, ou dira-t-on plus humblement de Schuiten, puisqu’après l’édition du livre chez Attila, on ne peut se défaire de l’image statuaire fixé par le dessinateur belge. Comme un autre a dit remarquablement quant à ce livre : "exigence classique, pulsion baroque". Le livre atteint cette ligne d’ombre dont l’horizon brouille les contours, où la conscience hypnotisée laisse le rêve aux commandes.

Athanase-D
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le 24 juil. 2015

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