Ceux qui ont lu mon papier concernant Lala Pipo savent désormais que Hideo Okuda n’est pas exactement un auteur conventionnel, mais dans son pays l’écrivain japonais est tout simplement une star. Ses romans se sont vendus à plusieurs millions d’exemplaires et ont donné lieu à des adaptations pour le grand et le petit écran. A l’origine de cet étonnant succès, on retrouve la trilogie du Dr Irabu, florilège de nouvelles mettant en scène deux personnages récurrents, le Dr Irabu, psychiatre de son état, et son assistante, une infirmière aussi sexy que mal embouchée.
Charlatan ou génie incompris, le Dr Irabu, héritier du fondateur de la clinique éponyme, est un homme jovial, obèse, affublé d’un complexe d’Oedipe carabiné et fétichiste de la seringue. Chacune de ses consultations débute par une injection, administrée par la très peu accorte Mayumi, une infirmières aux mensurations diaboliques légèrement exhibitionniste (et sans doute un peu sadique). Ce rituel a le don de mettre en joie notre bon docteur, qui semble hériter de patients affublés de troubles plus ou moins sévères. A un homme atteint d’importants troubles gastriques, le Dr Irabu prescrit rien moins que des séances de piscine, aussi régulières qu’intensives, à un jeune salaryman atteint de priapisme, il assène d’entrée un sérieux coup de genou dans l’entrejambe avant de constater que le traitement est hélas sans effet, il faudra changer de méthode. Au cours des nouvelles suivantes, le lecteur aura l’occasion de découvrir un adolescent accro des SMS dont la vie est régulée par les alertes de son smartphone, une jeune femme narcissique persuadée d’être harcelée par des inconnus et enfin un gros fumeur obsédé par la peur d’incendier son appartement avec un mégot de cigarette. Pour chaque cas, le traitement est évidemment personnalisé et le docteur n’hésite pas à donner de sa personne, s’investissant corps et âme dans la thérapie (accompagner un patient à la piscine, acheter une dizaine de smartphones dernier cri pour communiquer avec le second ou bien encore participer au concours Nouvelle star).
On l’aura compris, Hideo Okuda use et abuse du comique de répétition et manie à l’envi la fantaisie et le burlesque, sans compter que ses méthodes ont de quoi laisser perplexe. Mais au-delà de l’apparence loufoque des situations, ses récits sont souvent empreints d’une certaine gravité. Sous une apparence cocasse, ce sont de véritables troubles qui sont évoqués avec plus ou moins de sérieux ; et à travers le prisme de l’individu, c’est toute la société japonaise qui est épinglée, ses pulsions, ses névroses ou ses obsessions : culture de la performance, superficialité des relations, culte de l’apparence….
Il est certain que les procédés narratifs employés par l’auteur ne susciteront pas l’enthousiasme de tous les lecteurs, on peut en effet être lassé par le comique de répétition ou ne pas adhérer au côté burlesque des situations. Il n’en demeure pas moins que le roman de Hideo Okuda est bien plus intelligent que ne le laisserait supposer une lecture un peu hâtive. On sourit, on rit parfois, mais l’on est également touché par ces personnages en détresse ou en souffrance, écorchés par une société souvent impitoyable avec ceux qui s’écartent de la norme ou ne résistent pas à la pression des convenances sociales. Bref, un mal que l’on pourrait nommer stress contemporain et qui n’a, hélas, pas de frontière.