« Lorsque les désirs d’avenir où les regrets de souvenir s’éveillent dans une partie quelconque de ce crâne géant, le Globe, — le vent se lève.»

C'est une sensation toujours très agréable, un peu gratifiante, presque excitante, que de trouver une voix originale. Pour soi, il va sans dire.
Ho ! bien sur quelque chose qui était là depuis des lustres, juste sous nos yeux clos, à notre portée tout ce temps, on ne nous l'avait pas dit, c'est tout ; on a parfois vu passer un nom, un fragment de texte, une dédicace et à la lecture, cette voix remonte, harponne, étonne, détonne, déstabilise. Nous ne sommes pas habitués, d'autres massifs ont formé notre paysage quotidien. Mais l'on n'est pas non plus en terre inconnue, c'est tout de même un peu comme chez nous, comme découvrir un petit renfoncement à peine débroussaillé au fond de son jardin.

"La Rose et les épines du chemin" (1901) est le premier volume d'une trilogie poétique "Les reposoirs de la procession".

Ce Saint-Pol-Roux (1861-1940), SPR pour les intimes, donc, est de ces auteurs émancipés qui, en marge, deviennent leur propre centre de gravitation. Vite lassé de la vie mondaine, il s'exile en Bretagne, à Roscanvel puis à Camaret où il se fera construire un joli manoir néo-gothique à lèvre de falaise. Plus tard, on connait l'histoire, pillé par les Allemands et ses manuscrits dispersés.

L'on ne peut éviter, je crois, le petit jeu réificateur des comparaisons et des filiations. On pourrait, pour commencer et le replacer grossièrement sur notre carte, le voir comme pont (biscornu) entre Symbolisme et Surréalisme mais cela serait déjà le réduire, le confiner à une vague articulation, une petite cheville, quand il est auteur à part entière avec sa longue traîne d'originalité, d'inventions. Il parvient à rassembler et à tenir dans son poing fermé un faisceau de foudre – il a même des petits airs de Zeus avec sa barbe blanche.

« Ce pendant, devant son seuil enjolivé de chèvrefeuilles, un vieillard d’avant-garde aiguise l’annuelle faulx, comme s’il lustrait avecque de la bise une lame de fond.

Le Temps récite le rosaire du Soleil. »

On trouvera donc chez Saint-Pol-Roux un peu de tout : du Mallarmé dans le jeu évanescent des mots, un foisonnement en prose poétique riche d'archaïsmes, d'argot archaïque puisé au Moyen Âge et de néologismes, une exubérance toute boschienne d'images, analogies, métaphores, d'allégories personnifiées, d'hallucinations qui tricotent un canevas extrêmement moderne, complexe et resserré, pour ne pas dire foutraque, pas toujours des plus aisés à appréhender. Foisonnement qui fera ainsi dire à Rémy de Gourmont que franchement, là, c'est too much et que des fois, on aurait bien envie de rire devant une telle tambouille. Il n'a pas totalement tort ceci dit et l'on pense parfois aux délicieux détournements du Laforgue des Moralités Légendaires.

A l'inverse l'on ne s'étonnera alors pas de la dédicace d'André Breton qui cherchant toujours à rattacher tout un tas de trucs au Surréalisme l'en nomme saint patron. Aussi, c'est à se demander si Alexis Léger n'avait pas ce poète en tête en se choisissant Saint-John Perse comme nom.

Il est donc bien dans la lancée des symbolistes, de ces poètes-prophètes qui au-delà de simples jolis vers croient en la puissance de la poésie, comme façon de vivre, comme exercice à philosopher, comme outil de connaissance pour mieux saisir, plus que la nature, l'univers et soi-même. SPR, sans jamais se dissoudre dans une abstraction totale, toujours connecté aux choses tangibles, sans jamais non plus se faire d'illusions sur le Monde - la "dame à la faulx" rôde toujours, même sous le soleil - croit en une possible fusion des deux et un pas vers le divin.

Une poésie totale, personnelle, dense, tant dans son fond que dans sa forme qui mérite qu'on s'y attarde.

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[La richesse et la forme en longs poèmes en prose du recueil rendent difficile le choix d'extraits révélateurs.]



"Les coups de ciseaux gravissent l'air.

Déjà le crêpe de mystère que jetèrent les fantômes du vêpre sur la chair fraîche de la vie, déjà le crêpe de ténèbre est entamé sur la campagne et sur la ville.

Les coups de ciseaux gravissent l'air.

Ouïs-tu pas la cloche tendre du bon Dieu courtiser de son tisonnier de bruit les yeux, ces belles-de-jour, les yeux blottis dessous les cendres de la nuit?

Les coups de ciseaux gravissent l'air.

Surgis donc du somme où comme morts nous sommes, ô Mienne, et pavoise ta fenêtre avec les lis, la pêche et les framboises de ton être.

Les coups de ciseaux gravissent l'air.

Viens-t'en sur la colline où les moulins nolisent leurs ailes de lin, viens-t'en sur la colline de laquelle on voit jaillir des houilles éternelles le diamant divin de la vaste alliance du ciel

Les coups de ciseaux gravissent l'air.

Du faite emparfumé de thym, lavande, romarin, nous assisterons, moi la caresse, toi la fleur, à la claire et sombre fête des heures sur l'horloge où loge le destin, et nous regarderons là-bas passer le sourire du monde avec son ombre longue de douleur.

Les coups de ciseaux gravissent l'air. "

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le 16 avr. 2014

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Nushku

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