C'est dans l'œuvre d'Algernon Blackwood, notamment The Willows, sans aucun doute, que H. P. Lovecraft va trouver son inspiration et propulser le récit d'horreur cosmique dans son âge d'or.
The Willows, c'est l'histoire d'un homme, d'un aventurier — le narrateur —, qui descend le cours du Danube en canoë avec un ami de longue date qu'il ne désigne que par son surnom, le Suédois. Après de longs jours sans incident, ils arrivent dans une région désolée où le fleuve monte en crue et devient dangereux. Ils décident alors de s'arrêter pour la nuit sur une île que la montée de l'eau rogne lentement, mais le lieu n'est pas normal — les saules, qui donnent leur titre à la nouvelle, semblent bouger d'eux-mêmes et il y a un étrange son comme la vibration d'un gong dans l'air… Et, alors qu'ils sont piégés sur l'îlot rétrécissant pendant un jour supplémentaire, on découvre avec le narrateur que le Suédois en sait beaucoup sur le lieu, sur les choses qu'il s'y passe… Il y a un autre monde — la frontière duquel est poreuse là où se sont arrêtés les deux aventuriers — où vivent des choses qu'il ne faut pas nommer…
Do not refer to them by name. To name is to reveal; it is the inevitable clue, and our only hope lies in ignoring them, in order that they may ignore us.
…des choses qui ne voient pas, qui n'entendent pas comme les hommes, mais qui perçoivent les pensées, les sentiments, surtout la peur et qui, dès qu'elles découvrent la présence d'êtres pensants, exigent leur sacrifice.
Il y a aussi, caché parmi les longues descriptions de l'île, les exposés des sentiments d'horreur et de terreur tantôt diffuse tantôt très nette du narrateur, quelque chose qui fera son bout de chemin dans toute l'horreur littéraire qui lui succédera :
The vibrations reach me in another manner altogether, and seem to be within me, which is precisely how a fourth dimensional sound might be supposed to make itself heard.
L'horreur géométrique, la quatrième dimension et la conscience et l'impossibilité de l'homme à saisir pleinement, à percevoir et comprendre cela qui est à la fois très proche de lui et pourtant infiniment éloigné.
À celui qui y prête ne serait-ce qu'un peu attention, il y a dans The Willows le début de tous les codes de l'horreur telle qu'on la connaît qu'aujourd'hui. Et alors qu'on rêve de les voir moins martelés, moins explicités, qu'on veut une horreur purement suggestive (ou jump-scary, mais bon, par chance, la littérature y échappera par nature), le retour aux sources a quelque chose d'agréable et même salutaire : il nous rappelle que si l'horreur joue du flou et des confusions, des difficultés à nommer et exprimer, il y a une certitude implacable de l'horreur — la perception claire d'une démarcation franche entre le familier et l'inquiétante étrangeté —, qui tend à s'oublier, mais qui fait pourtant tout l'impact durable que l'horreur doit procurer.