"46. Je suis las des fardeaux de la vie, car quiconque a vécu
Quatre-vingts ans - malheureux qui n'a plus de père ! - se sent bien las.
Je sais de quoi est fait aujourd'hui, de quoi est fait hier
Avant lui, mais je ne sais ni ne vois de quoi sera fait demain.
J'ai vu la mort frapper en aveugle ; qui elle touche
Périt, qui elle manque, survit, vieillit et décrépit.
Qui dans mainte affaire répugne à complaire
Se fait déchirer à belles dents et fouler aux pieds.
Qui protège son honneur en faisant le bien,
Parfait son honneur. Qui ne prend garde à l'injure, la subit.
Qui de son mérite est avare
Envers son peuple, on se passe de lui et le blâme.
Qui est homme de parole n'encourt nul reproche ; qui se laisse guider
Par une sereine bonté, n'aura pas à louvoyer.
Qui a peur de mourir, la mort le rattrape
Dût-il, en s'aidant d'une échelle, gravir les marches du ciel.
Qui, à des personnes qui en sont indignes, dispense le bien
Verra son éloge se retrouver en blâme et le regrettera.
Qui se rebelle contre le revers de la lance
Obéira à son fer monté sur sa hampe.
Qui par les armes ne défend pas son puits
Se verra détruit. Qui s'abstient d'outrager autrui subira l'outrage.
Qui s'en va vivre à l'étranger prend l'ennemi pour ami.
Qui ne jouit pas de sa propre estime ne jouira pas de celle d'autrui.
La nature d'un homme quelle qu'elle soit,
Est connue de tous, dût-il s'imaginer pouvoir la cacher.
Que d'hommes qui te plaisent, tan,t qu'il se taisent
Et qui, quand ils parlent, perdent ou gagnent en valeur !
Le brave est pour moitié langue, pour moitié cœur
Quant au reste, ce n'est qu'apparence de sang et de chair !
Le vieillard qui déraisonne ne se fera pas sage, il est trop tard,
Le jeune homme qui déraisonne s'assagira.
Nous demandons, vous donnez, nous redemandons, vous donnez,
Mais qui trop souvent demande sera un jour privé."