Si le livre se présente comme un « journal hédoniste », il faut préciser qu’il n’a rien d’un « journal intime » et que Michel Onfray ne se dévoile qu’en de rares occasions. C’est dommage car lorsqu’il ose un peu l’intimité, il arrive à être touchant. J’ai un souvenir assez vif de l’hommage rendu à son père au début de Politique du rebelle et le premier texte des Vertus de la foudre (sur sa mère qui recherche ses origines) est très beau. Plus que d’un « journal », il s’agit presque d’un « blog » ou certains évènements (essentiellement culturels) donnent l’occasion au philosophe de développer un texte.
L’ensemble est assez disparate puisque Onfray peut faire aussi bien l’éloge de Montaigne, de Bachelard ou d’un musicien contemporain comme il peut disserter sur les vertus hédonistes du cigare voire chanter les louanges de sa Normandie natale.
Les meilleurs de ses textes sont ceux où il fait preuve de son indéniable curiosité. Celui sur Raoul Vaneigem est fort bien vu d’autant que rares sont les individus à se réclamer de l’ex-situationniste. J’aime aussi beaucoup son éloge de Casanova. Le meilleur de tous ces petits essais est sans doute Françaises, encore un effort… où Onfray fustige le féminisme dogmatique en se référant notamment à Annie Le Brun (gage de qualité !) et en pensant l’émancipation de la femme comme émancipation globale de l’individu et de ses désirs et non comme revendication communautariste.
A côté de cela, Onfray ne peut pas s’empêcher de pontifier, de donner des leçons qui laissent présager (nous ne lui souhaitons pas !) d’un parcours à venir similaire à celui de Philippe Val ; de la révolte au catéchisme le plus bien-pensant (l’individualiste Onfray critique désormais Stirner et l’abstentionniste de l’antimanuel de philosophie appelle aujourd’hui au rassemblement de toutes les gauches anti-libérales !). Le plus étonnant chez cet hédoniste déclaré, c’est l’austérité de son amour pour l’art. Aucune gourmandise dans ses éloges de musiciens contemporains (que je ne connais pas mais l’auteur ne fait pas envie) ou de la peinture d’avant-garde. En mettant toujours en avant la raison et la nécessité intellectuelle de décoder les œuvres, il se prive de tout plaisir, de toute approche purement sensuelle des œuvres.
L’un des textes les plus caractéristiques de cette ambiguïté, c’est sans doute son éloge d’Otto Muehl. Onfray s’offusque que l’artiste ait fini en prison (ce qui peut se comprendre : loin de nous l’idée de faire l’éloge du système carcéral) et fait l’apologie de l’actionniste en y voyant un libertaire hédoniste. Or le peu que je connaisse de l’œuvre de Muehl et des actionnistes viennois me paraît être l’inverse de l’hédonisme. Toutes leurs performances (à base d’urine, d’excréments et de vomi) sont basées sur le dégoût physique et la haine du corps. Je trouve curieux que l’auteur voit chez des types sacrifiant sur scène des animaux des amoureux de la vie et qu’un athée comme Onfray approuve ces « anticléricaux » adopter un mode de vie qui n’est ni plus ni moins que celui d’une méprisable secte !
Dans le même texte, le philosophe nous ressort l’équation : catholiques = nazis qui est tellement réductrice qu’elle fatigue même un anticlérical déclaré comme moi. Autant ce schéma pouvait être réel au temps de Thomas Bernhardt en Autriche, autant ce nietzschéisme attardé (sapons les bases de la civilisation chrétienne) paraît totalement ringard à l’heure où même les crapauds de sacristie s’éloignent de leur pape quand il gâtifie en Afrique !
Mieux vaut oublier ces pages et apprécier celles où Onfray s’adresse à ses amis : dans ces moment là, il fait de son hédonisme matérialiste une éthique purement individuelle et ne tente pas de l’asséner comme un dogme finalement assez peu roboratif…