En 2009, l'année de sa mort, Raymond Federman, alors âgé de 81 ans, écrivit ce court récit en français. Cet acrobate de la pensée et de l'écriture prend toutes les libertés et joue avec son lecteur, et avec lui-même, en nous racontant une histoire en même temps que sa construction. C'est ici l'attente ou la peur de la mort qui se transforment en une narration inventive et jubilatoire, dans un espace entre la vie et la mort où les défunts devenus carcasses attendent leur transmutation en une nouvelle créature, humaine, animale, végétale ou même objet (une jolie rose rouge, un pot de chambre ou une capote … un sort moins enviable qu'il n'y paraît), sous l'autorité de ceux qui gèrent la zone des carcasses.

Ce lieu intermédiaire où s'empilent les carcasses est comme une vision joyeuse de chambre froide, où les carcasses, divisées en factions, sont conservatrices ou révolutionnaires, où elles se racontent des histoires de transmutations réussies ou ratées, où elles (qui ont perdu presque toutes leurs facultés) ont toujours une activité sexuelle en se frottant les unes contre les autres, tout en attendant leur prochaine transmutation, dont l'échéance, qui semble échapper à toute logique connue, dépend uniquement du bon vouloir des "Autorités".

Découper un morceau de ces carcasses dans des phrases qui forment tout un chapitre n'est pas facile, mais c'est trop bon pour qu'on s'en passe. Voici donc un fragment de jubilation :

« et te voici encore une fois carcasse parmi les carcasses – tu réfléchis tandis que tu attends ton tour ou ton retour – je sais que les carcasses ne sont pas censées réfléchir – mais pour la commodité de cette histoire disons que les carcasses sont capables d'avoir de petits éclats de cogitation – donc tu cogites - pourquoi ne puis-je pas avoir mon mot à dire – pourquoi ne puis-je pas décider moi-même de ma prochaine transmutation – pourquoi ne puis-je pas inventer mon propre - j'allais dire avenir – disons juste ma propre transmutation – imaginons maintenant que tu aies été écrivain lors d'une de tes anciennes transmutations et que tu saches encore écrire – alors tu composes un message à destination des autorités – tu y mets les formes et même – sans fausse modestie – un certain style – imaginons que dans ce message tu leur dises qu'il est peut-être temps que les carcasses aient leur mot à dire à propos de leurs transmutations – et imaginons qu'il s'ensuive un sacré remue-ménage dans la zone des carcasses... »
MarianneL
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 22 déc. 2012

Critique lue 390 fois

3 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 390 fois

3

D'autres avis sur Les carcasses

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4