L'Arabie Saoudite est un pays qui rebute la plupart d'entre nous : royauté théocratique cruelle, islamique, qui utilisent des immigrés comme des esclaves et traite ses femmes avec mépris. Pourtant ce pays est bien un allié des Américains depuis le fameux pacte du Quincy en 1945, pacte scellant une alliance pétro-militaire entre les deux pays. Mais aujourd'hui ce pays n'est qu'un pourvoyeur de l'OPEP (Organisation des Pays Producteurs de Pétrole) parmi d'autres pour les USA. C'est aux Européenns qu'il écoule sa pharaonique production dont il se sert pour asseoir sa puissance géopolitique dans la région et ainsi les Américains fournissent leurs alliés qui leur sont redevables.
Cette puissance est indissociable de la religion. L'Arabie Saoudite c'est deux familles : les Wahhab et les Saoud, Etat véritablement binaire, à la fois monarchique et théocratique, tiraillée entre les raisons d'états classiques, ce qui inclue pragmatisme et diplomatie, et le dogme religieux formidablement instititué, par le biais d'une organisation inédite au sein de l'islam, un clergé hanbalo-wahhabite (nom de la branche religieuse sunnite à laquelle appartient ce clergé). L'appareil de cet état, remarquablement puissant et protégé depuis des décennies a permis d'asseoir ce clergé et ce dogme particulièrement orthodoxe et ascétique. Il a ainsi pu, par capillarité et à renforts de financements inonder ses pays voisins de sa puissance politique et culturelle. A la base considéré comme une secte islamique, le wahhabisme (qu'on ne peut confondre exactement avec le salafisme ou le djihadisme, ou l'islamisme dans son ensemble, les termes sont complexes mais ont leur importance), est devenu peu à peu une des écoles les plus influentes du sunnisme.
Les principes de la religion wahhabite sont l'ordre, orthodoxie et l'orthopraxie, ce que l'auteur nomme les trois "o". Ainsi, la royauté saoudienne protège ce clergé qui la légitimise. L'ordre montre que le wahhabisme ne peut s'envisager en dehors de l'état, c'est à dire dans le cadre du terrorisme ou du djihad, pratiques soutenus par les saoudiens mais que son clergé considère comme aventureuse et impie. Seule la prière compte. Plus concrètement la loi islamique, proche de Daech, sans lui être similaire, cela a son importance, gouverne la cité, le culte des saints voire de Mahomet lui-même est limité. Les saoudiens dans leur idéal raserait la Kabaa, considérant que seule la prière envers Dieu est nécessaire. Ils considèrent aussi le passé comme inutile et au contraire l'homme doit être tourné vers l'avenir, en vue de sa ressurection et de son salut. C'est pour cette raison que le patrimoine saoudien est aujourd'hui complètement détruit et rasé. Il n'a pas lieu d'être dans une société d'ascèse et de silence.
Le pouvoir saoudien, bicéphale est parfois tiraillé, surtout aujourd'hui, agité par les conflits voisins (Yémen, Syrie). Ainsi, au sein de l'immense famille royale, représentant plus de 6000 membres, diverses tendances s'affrontent, des complots se trament, ourdis ou soutenus par les religieux qui sont comme des égaux du roi. Ainsi, il serait absurde de voir la politique saoudienne comme uniforme et totalitaire. La base du royaume est en réalité très fragile, fondée sur des affrontements de castes, de clans, de tribus. Les Américains ont maintenu l'unité d'un royaume qui n'avait jamais réussi à s'unifier auparavant et qui apparait parfois comme artificiel.
C'est d'ailleurs ce que Daech lui reproche. Cette organisation s'est proclamée califat, c'est à dire gardienne des lieux saints, lieux saints que sont La Mecque et Médine. Curieux, de voir deux idéologies voisines s'affronter ainsi, au point de devenir de véritables ennemies. Car en réalité l'islam wahhabite ne tolère aucune autre voie que la sienne, qu'elle soit celle d'une école instituée ou celle de fanatiques aux pratiques proches. Il n'y a qu'une seule Arabie, qu'un seul clergé, qu'un seul roi. Al Quaida et consorts sont illégitimes, nuls et non avenus.
Nabil Mouline, dans cet ouvrage, parvient à restituer la complexité de cet état méconnu, montrant à la fois la genèse de sa politique et de sa religion. Il montre à quel point l'Arabie est un état fragile contesté de l'intérieur et de l'extérieur par des dissentions permanentes entre sa couronne et son clergé, l'un et l'autre étant les deux revers d'une même médaille mais comment il a su jusqu'à aujourd'hui s'imposer comme un leader régional, avec pour seule rivale, l'Iran. Le pays du fanatisme religieux est aussi celui de l'ascèse la plus froide et la plus étonnante. A lire, dans une période où les petits commentaires, les pseudos intellectuels, et les caricaturistes de l'islam croient comprendre ce qui se trame là bas. Si vous voulez tenter de le comprendre, malgré une lecture assez ardue, ce livre est pour vous !