Une histoire de métissage, de passés qui pèsent lourd, de révolte...et d'amour
Ce livre se déroule sur pratiquement 150 ans, soit quatre générations, et deux continents. Au départ, la Martinique post-esclavage des années 1870, avec la jeune Amélia et le fils de son maitre, Thibault de la Bauterie, qui remettent en cause les hiérarchies établies. A l’autre bout de la chaîne, Marie-Jo, en 2010, dont nous savons peu de choses. Entre elles deux, plus d’un siècle, des métissages, des guerres et des amours contrariées. Une longue chaîne d’évènements que l’auteur nous livre petit à petit, nous permettant de reconstituer le puzzle.
Ce roman est une grosse claque, un coup de cœur sans réserve. J’en ai aimé chaque moment. L’auteur réussit à nous faire voyager entre les siècles, en adaptant son style à ses personnages et à leurs époques. Chaque personnage prend véritablement vie, on y croit. J’ai particulièrement apprécié Pierrot, le père de Marie-Jo, qui est extrêmement attachant. Mais ils le sont tous à leur manière : Thibault par son avant-gardisme concernant l’égalité entre tous les hommes, Amélia et Camille par leur courage. Et puis, à titre personnel, j’ai beaucoup aimé son évocation gentiment moqueuse, mais assez tendre, des bibliothèques :).
Flo Jallier évoque des thèmes universels. Les personnages sont à la recherche de leurs origines, ou au contraire rejettent leur passé, ce qui peut parler à tous à une époque où nous sommes quasiment tous issus de métissages. Elle évoque le racisme quotidien, qui perdure longtemps, avec parfois une bonne dose d’humour :
« -Si t’étais une Clodette, tu serais laquelle ?
-Elle ! elle a répondu du tac au tac pour la montrer sur l’écran.
[…]
-BEN MERDE !!! Elle préfère la négresse ! Celle qu’a pas un poil sur l’caillou en plus !
-Ah, tu préfères la négresse, a marmonné ma mère à Pépette, sans quitter l’écran des yeux.
[…]
Elle s’en foutait la daronne, de la couleur des Clodettes. L’aurait pu être verte, si Cloclo l’avait choisie, c’est qu’elle était exceptionnelle. »
Ce sont également des personnages qui cultivent le secret et l’oubli, en espérant préserver les générations suivantes de leurs difficultés. Mais finalement, leurs enfants portent le poids de ce secret sans le savoir. L’auteur nous parle également de révolte, que ce soit contre une forme d’esclavage persistante, ou contre l’ignorance dans laquelle les plus démunis sont maintenus par un système scolaire inadapté. Au final, l’auteur mène une réflexion très intéressante sur le passé, qui peut être à la fois un poids ou une force.
Mais surtout, la construction du roman est un véritable tour de force. Avec talent, Flo Jallier cultive le mystère, nous donnant peu à peu les clés pour reconstruire le fil qui unit Amélia et Marie-Jo. Elle nous les livre sous forme de lettres, rapports médicaux, articles de journaux, jouant avec les formes. Mais avant tout, elle laisse les évènements à notre libre interprétation : l’histoire d’Amélia et Thibault est-elle « vraie » ou imaginée par Marie-Jo ? Ainsi, nous pouvons faire de cette histoire ce que nous voulons. Le tout rédigé dans un style très agréable et s’adaptant aux époques, comme je l’ai déjà évoqué. L’émotion est également présente, et grandit au fil de la lecture, pour réellement vous prendre à la gorge à la fin du roman, lorsque Marie-Jo tire, avec sa mère, les leçons de cette histoire reconstituée.
En bref, c’est beau, c’est émouvant, c’est vivant, c’est prenant, et parfois drôle : c’est à lire. Ne vous fiez pas à la quatrième de couverture, qui ne dit pas grand chose du contenu. Révoltez-vous, foncez !