Ma vie avec Clint
Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...
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Nous avions quitté Asch au lever de rideau de la Seconde guerre mondiale, nous le retrouvons à la fin de l’hiver 1942, sur le front de l’Est. Une remarque s’impose : le titre est mensonger. Les quatre cinquièmes du livre sont consacrés à la trêve hivernale. C’est toute l’ironie du projet de Kirst que de nous décrire l’orgueilleuse armée du Blitzkrieg qu’au repos ou en repli. Les cadres de la batterie d’artillerie s’affairent à recréer une confortable vie de caserne au fin fond de plaine russe. La première scène est admirable, le tracteur du héros est bloqué par un véhicule immobilisé au milieu d’un bourbier neigeux. Les rares traces de vie mènent à une « chaumière, qu’on aurait pu croire prête à s’enfoncer dans la terre », refuge d’une section de transmissions confortablement couchée à même le sol.
Trois années de guerre : les survivants ont pris du galon. Le frêle Vierbein s’est révélé être le meilleur soldat du régiment, détruisant avec sa pièce pas moins de sept chars ennemis. Il est envoyé en mission au pays où il est confronté au terrible Schütze, planqué à l’arrière. Asch est désormais adjudant, second du lieutenant Wedelmann. Leur batterie est confiée au capitaine Witterer, un officier d’état-major qui a tôt fait de se rendre insupportable, alors qu’une visite du Théâtre aux armées suscite jalousies et passions. Kirst classe ses personnages en trois catégories :
• Les cyniques qui, comme Kowalski ou l’inénarrable Soëft, s’affairent à leurs trafics.
• Les conscients de l’horreur absolue de cette guerre qui demeurent bons soldats, car pressés d’en finir, quelle qu’en soit l’issue. Le commandant d’infanterie arbore la prestigieuse croix de chevalier : « Ce bout de fer blanc ? Ca m’a coûté soixante-deux soldats, une balle dans les couilles et des remords pour toute la vie. Croyez-vous que tout ce qui me reste à vivre suffira pour effacer tout ça ? »
• Les soumis : ils croient, au sens religieux du terme, dans le bien fondé du régime et dans la valeur de son Führer. Kirst distingue les crétins et/ou ambitieux, tel Witterer, des soldats de qualité comme Wedelmann ou Vierbein. Les revers militaires et les crimes de guerre éclairciront les rangs des seconds
La guerre se rallume. Vierbein est inutilement engagé puis sacrifié par le lâche Witterer. Il tombe en héros. Le vieux colonel Louchké tonne : « C’est une guerre sans honneur. Une guerre provoquée à dessein. Faite avec des méthodes de souteneurs. Pleine de mépris pour la vie humaine (…) L’héroïsme des fous est une patrie pour mégalomanes. Et c’est là le poison qui empoisonnera l’humanité entière. »
Nous sommes seulement en 1954, il est encore trop tôt pour Kirst pour dénoncer plus explicitement les exactions de l’armée régulière allemande. La conclusion d’Ash est lapidaire. Il se promet de ne pas mourir pour Hitler, mais de survivre afin de bâtir une autre Allemagne. Le moindre des paradoxes étant que, dans l’impossibilité pratique de se rendre aux Soviétiques, il est contraint, pour sauver sa vie et celles de ses soldats, de se battre pour le IIIe Reich.
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le 8 juin 2016
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