Récit sec et elliptique, à la première personne, du parcours d’un fils d’ouvrier réduit au chômage, depuis son embrigadement de tout jeune homme dans un gang nazillon jusqu’à son retrait dans la montagne à quarante-sept ans, les Fils de rien, les Princes, les Humiliés est intéressant a priori, mais il lui manque quelque chose.
Peut-être y a-t-il un je ne sais quoi d’inabouti dans l’intrigue et dans les personnages. Ce n’est certes pas le plus gênant, pas davantage que le choix d’un récit à multiples ouvertures – les blancs scénaristiques, les failles du narrateur – qui limite relativement la lourdeur de la démonstration. Certaines lignes sonnent un peu creux : « Au fond, nous ne sommes pas des taureaux. Mais des chiens. Des bâtards rendus dingues par le manque et la faim » (p. 22 en « Livre de poche »). D’autres donnent un peu plus, malgré la sécheresse du style : « Nous sommes encore des hommes. Avons-nous échoué ? » (p. 79).
Il y a, par ailleurs, quelque chose de bien-pensant dans le récit. Je ne suis pas en train de regretter que les Fils de rien, les Princes, les Humiliés ne fasse pas l’apologie du nazisme, naturellement, mais peut-être qu’il y avait à proposer des réflexions un peu plus approfondies que « Il n’est de jeunesse que violente. C’est le sang qui veut prendre le pouvoir et l’obtient par l’urgence. Il arrive que les livres, les mots, les chants d’une langue puissent apaiser cet incendie, et calment la vie. / Il n’est plus aujourd’hui de jeunesse qu’entravée. Contrôlée, assignée, surveillée. Livrée aux écrans, au langage, livrée aux images, aux marques. Ses égéries » (p. 153). L’auteur prévient, dans une note liminaire, qu’il ne partage pas les idées néo-nazies, et c’est un signe : les idées ici sont des signes de reconnaissance, pas des outils ni des armes. Ça limite forcément la portée d’une esthétique.
Mais ce qui m’a paru le plus manquer au roman, c’est sans doute un véritable regard qui, plus que le choix du sujet, aurait assumé la prise de risques. Qu’on compare avec l’Été des charognes de Simon Johannin, dont le narrateur aurait pu, dans d’autres circonstances, suivre le chemin de celui de Stéphane Guibourgé ; ou même, pour la rétrospection, à Rural noir de Benoît Minville. Dans les Fils de rien, les Princes, les Humiliés, ce regard est finalement bien pauvre, à plus forte raison sur cent cinquante pages.

Alcofribas
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le 9 juil. 2018

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