Dans les Deux-Sèvres, pendant la Grande Guerre, les "gardiennes" sont ces femmes qui, en l'absence des hommes partis combattre, ont fait tourner les fermes, les exploitations, l'économie pour que le blé soit planté, cultivé et moissonné, pour donner du pain aux Français, soldats inclus. En plus du travail harassant de la terre, il a fallu continuer à éduquer les enfants et à protéger les plus faibles.
Hortense Misanger, dite "La Grande Hortense", est un parangon d'exigence. Gardienne parmi les gardiennes, elle mène son monde d'une poigne de fer. Cette figure implacable et farouche, à la fois marâtre et femme de tête, inspire au lecteur terreur et fascination. Autour d'elle, véritable pivot du récit, d'autres figures féminines évoluent telles sa fille Solange et sa servante Francine, particulièrement émouvante en raison de son destin d'enfant confiée à l'Assistance. Les hommes sont là aussi, présents par intermittence, au gré des permissions ou des blessures.
Ernest Pérochon offre ici un spectacle d'un réalisme convaincant et poignant. Paru en 1924, "Les gardiennes" brosse la vie quotidienne dans les compagnes entre 14-18. Un roman social qui ne tombe pourtant pas dans le documentaire et s'attache aux destins particuliers, aux relations voire aux rouages entre les personnages de ce drame de "double campagne", campagne militaire et campagne agricole. Un vrai souffle romanesque anime le récit.
Entre bois, marais et champs, au rythme des saisons, la vie se poursuit vaille que vaille puisqu'il faut tenir, manger, espérer et parfois aussi, aimer, luxe suprême qui n'est à la portée que d'une poignée de chanceux.
J'ai énormément apprécié cette lecture qui est un quasi coup de cœur. J'ai hâte désormais de visionner l'adaptation de 2017 de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye dans le rôle principal.