Publié en Janvier 2015 aux éditions Verticales, le douzième texte fictionnel de Philippe Adam assemble des dizaines de microfictions, confessions et fantasmes sexuels sur tous les registres, drôles, sordides, éprouvants, et il invite ainsi le lecteur, spectateur d’un peep-show mental kaléidoscopique, à contempler notre époque et l’abîme qui s’y est ouvert entre des désirs démesurément enflés et la banalité du quotidien.


«À l’avenir. Si je devais renaître, pensait un vieillard, plus jamais je ne me permettrais d’être enfant, plus jamais je ne perdrais mon temps à faire des dessins, mes devoirs de mathématiques, mes conjugaisons ou mes thèmes de latin, j’irais droit à l’essentiel, l’adolescence, et là je veux toucher toutes les filles et tous les garçons, être sans foi ni loi, promettre n’importe quoi pour la vue d’un nichon, jurer que je suis amoureux quand je ne suis qu’excité, je veux embrasser toutes les bouches, être le plus décadent des collégiens, le pire des lycéens, je veux me masturber, me déguiser en folle, m’endormir ivre, me réveiller dans les bras de n’importe qui, au lieu de quoi j’ai raté ma vie, lui faisant prendre un mauvais départ, ayant été un élève studieux, obéissant, couché de bonne heure, un adolescent ennuyeux, et pour couronner le tout, voyez-vous ça, un trentenaire timide, un quadragénaire angoissé, un quinquagénaire perplexe, un sexagénaire sportif, un septuagénaire s’initiant à la marche norvégienne, bref, nous sommes d’accord, une andouille.»


Les titres pudiques de ces microfictions, hors du registre sexuel, entrent en collision avec ces nouvelles de quelques lignes, qui prennent toutes les couleurs de la libido, de la poésie à l’abjection, et soulignent cette distance entre fantasme et quotidien, entre la fiction et la réalité.


«Délicatesses. Constatant au matin que sa femme était morte, dans leur lit, pendant leur sommeil, il a d’abord pleuré, puis il l’a embrassée, sur le front, les joues, dans les cheveux, il l’a chatouillée sous les bras, elle adorait ça, il lui a massé la nuque et grattouillé le dos, elle aimait ça aussi, il aurait bien voulu se risquer du côté de l’entrejambe mais il ne l’a pas fait : la défunte n’y tenait pas.»


Obsession de tous les âges, fanfaronnades, bizarreries des attirances, usure du désir et désillusions, feuilletons mièvres ou ignobles, à l’intérieur de ce puzzle savamment agencé se forment des trames et des thèmes, pouvant évoquer Yves Pagès dans «Souviens-moi», les nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon, la manière dont Ian Monk malaxe les désirs et les clichés dans «Là», et l'inventivité et la crudité de «L’apocalypse des homards» de Jean-Marc Agrati.


«Conflit de générations. Elle aurait préféré qu’il aille vite, il aurait préféré le faire lentement, ils n’allaient pas au même rythme, elle aurait voulu qu’il se déshabille à peine entré dans la chambre, lui y mettait mille préliminaires accompagnés de flûtes de champagne, de concertos de Brahms et de Schumann, mais il faut dire qu’il avait vingt-deux ans et qu’elle filait sur ses soixante-treize, elle avait peur de mourir avant, il avait peur de mourir pendant, chacun ses problèmes.»


Dévoilant tout et plus encore, reflet d’une société contemporaine impudique, le livre de Philippe Adam n’est jamais vulgaire ; au contraire, une forme de mélancolie se dessine au fil de cette lecture débordant de foutre, après l’arc-en-ciel des émotions par lequel elle nous fait passer, de la drôlerie ultime au dégoût.


«Au berceau. Nourrisson, je ne comprenais rien aux bruits qui montaient de la chambre voisine, les cris, les gémissements, je devais croire que, comme moi, mes parents avaient trop chaud, se sentaient à l'étroit, manquaient de lait, et dans ces conditions j'étais bien, je pleurais, je n'en demandais pas davantage, mes premières dents poussaient, mes parents hurlaient, moi aussi, nous étions en famille, nous étions solidaires.»


Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/05/05/note-de-lecture-les-impudiques-philippe-adam/

MarianneL
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le 6 mai 2015

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