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Paul Moreira est ce qu'on peut qualifier de journaliste d'investigation. Pas un de ces gazetiers qui se contente de rapporter les rumeurs sans les vérifier, pas un des ces ronds de cuir du journalisme qui nous joue le sarkosisme à tout craint du 13 heures hebdomadaire. Non, il a travaillé pour tous les médias et a connu la consécration au travers d'une émission qui s'appelait « 90 minutes » et qui était diffusée sur Canal +. C'est son expérience qu'il nous conte ici. Son expérience des « spin doctors », ces conseillers en médias des politiques et des lobbies industriels.

On y apprend que la censure telle qu'on l'entend est maintenant prohibée car contreproductive. Il vaut mieux dire sa vérité, même si elle est fausse ou incomplète, plutôt que de démentir. Il vaut mieux accuser le journaliste de mauvaise foi et de partialité. Il restera toujours le recours d'expliquer à ses supérieurs que, s'ils veulent toujours avoir des opportunités médiatiques plus tard, il vaudrait mieux couper certains éléments du reportage ou bien envoyer le journaliste, auteur du crime de lèse-majesté, sur des dossiers un peu plus brûlants, un peu plus loin.

Paul Moreira nous parle de la guerre d'Irak qu'il aurait pu, comme de trop nombreux confrères, suivre depuis sa chambre de l'hôtel Palestine en espérant que ses pigistes locaux lui ramènent des nouvelles bien croustillantes pour son trente secondes de direct en cas de manque de sujets nationaux. Finalement, non, il n'est pas de cette trempe-là. Prudent, de trop nombreux collègues tombent sous des tirs croisés ou deviennent des otages rémunérateurs, il fera une partie de son reportage, comme le propose si aimablement l'armée étasunienne, avec des troupes au sol.

Il assistera à des contrôles, quelques échanges de feu nourri, toléré plus qu'intégré. Certes, il verra le conflit au sein des troupes avec une protection minimale. Cependant il n'aura pas la réponse à la question qui le tourmente, à savoir : combien de civils irakiens sont tombés sous les balles alliés ? Pour ce faire, il trouve un guide local, évite de se déguiser en journaliste et part pour un quartier où les accrochages sont quotidiens. Il y découvre une toute autre réalité. Celle d'un peuple, qui souvent fut ravi de voir tomber leur dictateur, mais qui maintenant ne supporte plus l'occupation des Etats-Unis et de ses alliés. Il voit un peuple qui a observé le déploiement des troupes et a bien remarqué que le ministère du pétrole fut le premier à être pris d'assaut et sécuriser.

Il voit surtout les flinguages gratuits de GI's trop nerveux qui tirent sur tout ce qui bouge. Il peut même observer un hôpital qui subit quelques jours plus tôt un mitraillage en règle par une patrouille qui laissa sur le tapi de nombreux civils ainsi qu'un médecin. L'uranium enrichi des cartouches perfore tout, même les bâtiments protégés par la convention de Genève qui interdit de prendre pour cible les hôpitaux.

Quelques jours plus tard, il a fini son reportage et passe voir le général américain qui l'a accueilli parmi ses boys quelques temps. Ce dernier perd rapidement son sourire quand il apprend que notre journaliste a passé quelques jours avec les rebelles. Mais ce n'est rien à côté de l'accusation de crime de guerre qu'il lui expose suite à l'incident de l'hôpital. Le général va relativiser courtoisement les faits, être toujours amical avec Paul Moreira et accuser les rebelles de ces actes. Pour retourner en France, il montera dans un convoi ferroviaire avec des chars et des hummers. Mais le chef du convoi lui expliqua qu'il n'y avait plus de place pour lui. Alors il lui restera le choix de rester sur place sans protection ou couché entre deux chars protégé par de simples sacs de sables. Il sait qu'il y a encore des places et comprend qu'il s'agit de lui faire payer ses récriminations. Ce seront donc deux cents kilomètres de cahots, en espérant qu'aucun rebelle n'attaque le convoi, qu'il fera pour quitter l'Irak. Belle façon d'apprendre avec élégance aux journalistes à se tenir à leur place en rapportant uniquement la version officielle.

Certes, il est question d'Américains mais la France n'est pas en reste. Vous souvenez-vous de l'hôtel Ivoire d'Abidjan en Côte d'Ivoire ? Quelques jours plus tôt, deux pilotes de la chasse ivoirienne, un biélorusse et un ukrainien, bombardèrent des troupes au sol de la force Licorne. Bilan : 8 morts et de nombreux blessés. Le traumatisme est fort dans l'armée française qui n'avait pas connue d'aussi lourdes pertes depuis le Liban. Aussitôt, Jacques Chirac, chef des armées, donna l'ordre de détruire toutes les forces aériennes ivoiriennes. Ainsi fut fait. Cela leva un vent de détestation anti-française tellement violent que l'exfiltration de nos nationaux fut décidée.

La plupart se réfugièrent à l'hôtel Ivoire en attendant de retrouver la mère-patrie. Des troupes françaises gardaient ce bâtiment. Las, la plupart d'entre eux étaient du corps qui avait perdus 8 de leurs camarades lors du bombardement qui déclencha la crise. Les jeunes patriotes ivoiriens, inféodés au Président Gbagbo, estimèrent que la France jouait le jeu des rebelles du nord qui menaçaient la « démocratie » ivoirienne. Une immense foule se massa aux abords de l'hôtel. Ils n'étaient pas armés, justes menaçants. Des gendarmes ivoiriens tentèrent de les tenir à distance en corrélation avec un général français, responsable de la sécurité du bâtiment.

La veille déjà, le cameraman de Paul Moreira filmera de nuit, une division d'hélicoptères français dans un exercice de ball trap sur des civils et des véhicules civils circulants sur un pont à quelques rues de l'hôtel Ivoire. Il n'en croit pas ses yeux mais le pire reste à venir. Il filmera cet instant surréaliste où, le lendemain, soudainement, les français reçurent l'ordre de tirer. 2000 cartouches brûlées en 10 secondes. 57 morts, dont 10 par étouffement lors de la panique, et 2226 blessés. Contre des gens sans armes... cela s'appelle un crime de guerre.

C'était du temps où Alliot-Marie était ministre de la Défense. Une ministre hommasse qui avait autant de féminité qu'une horde de chacals peut faire preuve de tempérance quand il s'agit de dépecer une charogne. Elle dénia longtemps l'évidence parlant de foule armée, puis de snipers mercenaires israéliens à la solde de Gbagbo pour faire monter la tension. Il est vrai que la télévision ivoirienne avait bien filmée des tirs depuis la chambre 611. De même les impacts sur certains corps laissaient plus à penser à des munitions de snipers qu'à des balles traditionnelles. Là aussi, gros souci, après le départ des français, on retrouva dans la fameuse chambre 611, l'équipement, les papiers et des ordres, appartenant à des soldats français.

Que firent les médias, alors que l'information circulait déjà ? Droits dans leurs bottes, ils défendirent tous les arguments de la ministre à l'ingrate physionomie. Peu avant la diffusion de l'émission qui devait rétablir la vérité, un spin doctor du staff d'Alliot-Marie tenta de faire pression sur lui en lui parlant des intérêts de la France, du manque de crédibilité des témoins, etc... Moreira tiendra bon et donnera même la cassette à visionner à la ministre. Seulement quelques heures avant la diffusion, elle fit une intervention parlant de « légitime défense élargie » et « d'usage total d'armes à feu ». Belles formules pour couvrir un crime de guerre qui ne fut jamais jugé. Même Gbagbo n'insista pas, l'incident l'avait renforcé et sa collaboration avec la France avait pris un peu plus de poids. Là où le sang des peuples renforce leurs dirigeants. Le général à l'origine de la « bavure » fut mis à pied un an plus tard sous prétexte d'avoir couvert le meurtre d'une jeune ivoirien de 25 ans commis par des hommes sous son commandement. On comprend qu'il est question de « grande muette » ; quand elle parle, c'est pour mentir.

Et là il n'est question que des deux premiers chapitres de l'ouvrage. Accrochez-vous, le reste est tout à l'avenant. Mon propos n'est pas, une fois encore, de tout vous dire. Lisez, découvrez par vous-même. Outre la communication de guerre dont vous avez eu deux exemples ordinaires plus haut vous verrez à l'œuvre les relations publiques – c'est le terme plus soft pour propagande – quand elles travaillent pour des politiques ou de grandes entreprises. Vous assisterez même à l'interview et l'aplomb dont fait preuve un certain Nicolas S., un sombre descendant d'émigrés hongrois qui refuse aux émigrés d'aujourd'hui – même les hongrois – le droit de devenir de bons citoyens français. L'homme n'aime pas se faire surprendre par des caméras qui filment, bizarre pour quelqu'un qui n'a rien à cacher.

Et puis, il y a tout ce qui, selon la formulation éclairante de Paul Moreira, « passe sous le radar ». Il s'agit de toutes ces choses politiquement incorrectes que sont la souffrance et, parfois, la mort au travail, les batailles entre laboratoires pour les brevets sur le sida, ainsi que les coups médiatiques qui occupent bien nos soirées en occultant la réalité et toute son horreur. Finalement c'est à la réécriture de quelques pages d'histoire que vous allez assister. On ne ressort pas indemne de la lecture de cet essai. On en ressort au mieux vigilant, au pire écœuré. Alors qu'on parle d'une réforme de la Justice, il serait temps de penser également à réformer le journalisme et les médias, non pour les museler mais pour leur rendre leur liberté, leur inaltérable droit de chatouiller les puissants là où ils sont sensibles. Peut-être le premier pas est de rendre les médias indépendants des pouvoirs financiers et politiques qui les tiennent en laisse depuis trop longtemps. Après tout... une laisse n'empêchera jamais un chien de mordre, il est temps que ces charmants animaux du cirque médiatique qui s'invitent dans nos maisons le comprennent enfin. Eclairant et indispensable.
Bobkill
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le 22 déc. 2010

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Niobee
8

Edifiant !

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