Les pêcheurs est à la croisée du récit de jeunesse, du roman initiatique, du thriller et de la tragédie grecque. C’est un roman à l’écriture foisonnante et au rythme maîtrisé, qui laisse à penser que Chigozie Obioma a toutes les qualités requises pour devenir l’un des grands noms de la littérature nigériane contemporaine.
Au fil de ces quelques trois cents cinquante pages, nous suivons les aventures d’une fratrie dans la ville d’Akure au Nigeria dans les années 90. Avec une plume alerte et une langue très imagée, Chigozie Obioma mène avec beaucoup de justesse ce récit d’enfance et de vengeance, teinté de mysticisme. Il y aborde avec talent les thèmes de l’amour fraternel, de la transgression, de la folie et de la superstition. Le lecteur oscille entre l’amusement et la peur, l’incompréhension et la compassion, face à cette histoire qui se déploie selon les règles implacables de la tragédie antique. L’oracle se fait vagabond, des gamins nigérians se rendent coupables d’hybris et la fatalité du destin s’abat sur les protagonistes, dépassés par leur propre condition. L’effet cathartique est à l’œuvre : Sophocle n’aurait pas fait mieux.
La trame du récit s’inscrit par ailleurs dans le contexte politique nigérian des années 90 et l’auteur même habilement petite et grande histoire. Les espoirs de la classe moyenne, l’ambivalence des autorités ou le poids des traditions sont autant d’éléments qui viennent densifier le récit et l’inscrire dans une contexte culturel et historique, sans lui ôter pour autant sa portée universelle.
Si le dénouement de l’histoire n’est peut-être pas totalement à la hauteur du reste du récit, il n’en reste pas moins que Les pêcheurs est une œuvre d’une remarquable créativité littéraire. La richesse de ses métaphores, sa structure sous forme de bestiaire et son jeu sur les langues sont autant de trouvailles qui viennent porter un récit déjà riche de symbolisme. C’est un roman qu’on ne lâche pas, de ceux qui vous tiennent au corps et vous fait trépigner et transpirer jusqu’à la dernière page.