Ou bienvenue en Macronésie (chapitre 1)
Même si le pamphlet de Bernard Maris ne semble pas directement lié à l'œuvre future du président, ne serait-ce que par sa date de publication (1999).
Encore que.
- Tous les économistes dont il est question ici sont des partisans de la «liberté» d'entreprendre, de l'évangile libéral, la liberté du renard libre dans le poulailler libre, à l'heure d'un renouveau social placé sous le signe de la destruction du code du travail.
- Tous les «grands» économistes actuels, tous dans cette mouvance là, ont appelé comme un seul homme à voter pour Macron;
- Il y a une bonne dizaine d'années (et les deux dates commencent à se rapprocher), Jacques Attali, un des pseudo experts dénoncés par Bernard Maris, annonçait l'élection future à la présidence d'un jeune homme dont personne n'avait jamais entendu parler, un certain ... Emmanuel Macron.
- Et puis il y a dans le langage abscons, dans les manipulations de ces économistes plus qu'une parenté avec la communication macronienne; on y reviendra.
HOMMAGE A BERNARD MARIS
Oncle Bernard, assassiné lors de l'attentat de Charlie Hebdo, véritable économiste, lucide, brillant caustique, s'attachant avec brio (et une pointe de désespoir aussi) à démystifier toutes les impostures des économistes (dont eux-mêmes, certains du moins ne sont d'ailleurs pas dupes), à démontrer à quelle point la pseudo science est totalement coupée de toute réalité, du monde, mais réussit pourtant à bien pourrir le monde.
Plus l'eau devient rare, dégueulasse, donc chère, plus les hommes s'enrichissent dans le système de l'économie libérale.
Bernard Maris procède d'une façon extrêmement simple à deux niveaux, les différentes catégories d'économistes, totalement hiérarchisées et les grandes évolutions, à travers les années, de la science économique. Et ce n'est pas triste.
- Les maîtres: trois ou quatre, pas davantage, Smith, Keynes, Marx, quelques concepts, très peu, essentiellement la loi de l'offre et de la demande, le marché, la confiance …
- Les gourous, tirant la science humaine vers la religion, l'infaillibilité du marché, la théorie de la main invisible, l'équilibre auquel finissent toujours par conduire l'offre et la demande; mais ceux-là, Bernard Maris est formel ne sont pas dupes de leurs théories délirantes. Et certains se replient donc, délibérément sur des jeux formels, en dehors de toute réalité et vont même jusqu'à pousser leur ambition (ou leur délire) dans la volonté de transformer une science humaine (une sorte de sous-branche, très secondaire, de la géographie) en une science dure, imparable, qui se nourrit des mathématiques. On va ainsi mettre la confiance en équation et prévoir l'avenir avec des théorèmes. Le délire est là, mais quand il prétend aussi toucher à la réalité, il peut devenir très dangereux.
- les experts, enfin, les petites mains, qui eux croient aux délires de leurs supérieurs, ou n'y croient pas davantage mais y trouvent leur intérêt, dans la défense d'intérêts puissants qui les rémunèrent en retour. Ils flagornent donc. Ce sont eux qui envahissent en permanence les médias et les écrans, toujours les mêmes, ceux d'aujourd'hui, qui ressassent toujours les mêmes banalités, ou les mêmes énormités, ceux qui s'expriment dans «l'espéranto économique, cette novlangue qui règne désormais sans partage». Et ceux d'aujourd'hui ressemblent très pour trait aux experts dénoncés par Bernard Maris, tandis que les gourous, qui eux ne croient plus depuis longtemps à ces délires, restent à distance, laissent dire les subalternes, l'altitude étant à l'évidence le plus sûr chemin vers le Nobel.
On peut dérouler la kyrielle des noms de ces prétendus experts, autoproclamés, toujours au service de leurs maîtres d'autant que pour la plupart ils sont directement impliqués dans la banque ou dans la finance, dans l'entreprise privée, dans le monde économique ou même politique, qui les rémunère pour qu'ils continuent, jusqu'à plus soif, de débiter les mêmes sornettes : derrière les maîtres en expertise, indéboulonnables et grotesques, Jacques Attali ou Alain Minc, on en oubliera évidemment, François Lenglet, Nicolas Doze, Nicolas Baverez, Nicolas Bouzou, Elie Cohen, Daniel Cohen, Pascal Perri, Michel Godet, Christian Saint-Etienne, Raymond Soubie, Jean-Pierre Gaillard, Dominique Seux, Agnès Verdier-Molinié, le vétéran Jean-Marc Sylvestre et quelques autres … Rien n'a changé depuis le pamphlet de Bernard Maris.
Ce dernier, dans un jeu de massacre jubilatoire, retrace l'évolution dérisoire et mortifère de la science économique, à travers ses tendances successives, la religiosité, la gratuité, la prétention scientifique via les mathématiques les plus sophistiquées – tout cela ne serait que ridicule s'il n'y avait en plus la prétention à tout régenter.
(L'ouvrage ne présente qu'une faiblesse relative – les théorèmes des économistes sont cités très rapidement, rarement explicités et les formules liées ne sont pas rapportées. Cela peut provoquer un léger sentiment de frustration avec l'idée qu'à ces moments-là le discours de l'auteur serait réservé à des initiés. En fait on découvrira plus tard que ces manques ont une justification évidente – théorèmes et formules sont définitivement incompréhensibles et illisibles …)
On ne s'attardera pas sur chacune des théories mises à mal par Bernard Maris mais on centrera cette critique sur une des théories / actions / impostures les plus sidérantes, l'oeuvre de Merton et Scholes, illustres prix Nobel d'économie, décrite dans le chapitre 8 de l'ouvrage.
En attendant on peut laisser la conclusion provisoire de l'affaire à un des experts et pitres les plus représentatifs de cet univers, Jacques Attali, cité par Bernard Maris :
Un économiste est « celui qui est toujours capable d'expliquer le lendemain pourquoi la veille il disait le contraire de ce qui s'est produit aujourd'hui. »
UN CONTE POUR ENFANTS
Il était une fois.
Il était une fois Merton et Scholes ; deux savants parmi les savants ; deux génies de la finance ; deux spécialistes du calcul de dérivés. Au départ en fait, ils étaient trois. Mais le troisième larron, un certain Fisher Black, est mort un peu trop tôt pour avoir lui aussi son prix Nobel. Avec eux, il y avait encore un banquier, naguère poursuivi pour manœuvres frauduleuses et délit d'initié (un signe : même au pays des mathématiques pures, et de leur éternelle beauté, le glauque et le mafieux ne sont jamais très éloigné). Et il y avait encore une armada de traders, tous spécialistes des dérivés, tous formés par les cours et les conférences du Maître Robert Merton.
Robert Merton et Myron Scoles rêvaient d'une économie pure, totalement débarrassée des scories, des miasmes du réel . Une économie pure et dure, fondée sur les mathématiques.
Scholes (et Black) mirent au point une formule mathématique – à la fois illisible (Cf. annexe 1) et définitive. LA formule qui permettrait de gagner à tous les coups dans les jeux boursiers.
Et Merton produisit le théorème. Merton réussit (on ne rêve pas!) à mettre en équation ... l'excitation du joueur. Il tenait un raisonnement dont la puissance et la profondeur n'échapperont à personne : plus je prends des risques, plus je suis excité – plus je suis excité plus je reprends des risques – plus je reprends des risques …
Devant une telle beauté, le monde ne pouvait plus que s'incliner : les travaux de Merton et Scholes furent couronnés en 1997 par le prix Nobel d'économie.
Mais ils n'allaient pas se contenter du prestige du Nobel et de la beauté de l'économie livrée aux mathématique pures. Chercheurs sans doute, et hauts-de-gamme mais financiers avant tout pour la beauté du geste et la bonté du fric.
Ils fondèrent en 1994 le fonds spéculatif LTCM. On ne s'attardera pas sur le fonctionnement du fonds : on n'achetait pas des actions mais on réservait des options d'action, à une date donnée en accordant une prime au vendeur. Et on prenait son bénéfice (si bénéfice il y avait) au jour J. En bref on achetait et on vendait du vent.
Le théorème et la formule garantissaient de gagner à tous les coups.
L'affaire ne s'adressait donc pas au commun, au petit peuple. Pour participer au fonds LTCM, il fallait débourser un minimum de dix millions de dollars bloqués sur une période de trois ans. Toutes les banques d'affaires américaines et nombre de milliardaires, sûrs du coup, se mirent sur l'affaire.
Merton, Scholes, leurs associés et leurs clients gagnèrent beaucoup d'argent, très vite. Ils auraient brassé l'équivalent du PIB de la France.
Ils gagnèrent des millions de dollars.
Ils gagnèrent des milliards de dollars.
Ils gagnèrent des millions de milliards.
Merton et Scholes croyaient en leur génie et en l'infaillibilité de leur modèle.
Ils croyaient dans la toute-puissance des mathématiques.
Ils croyaient dans l'infaillibilité religiosâtre du marché, « le marché parfait qui toujours revient à l'équilibre », ils croyaient en la fée Main invisible, ils croyaient au risque nul.
Et pourtant le prévisible (qu'ils n'avaient certes pas prévu) a fini par se produire.
« Merton et Scholes vendaient une stratégie sans risques sur un marché spéculatif qui n'existe que par le risque ; c'étaient en vérité des marchands d'amulettes contre le risque comme d'autres vendent des amulettes contre les rhumatismes ».
Le prévisible s'est produit un matin de 1998. Tout s'est écroulé et le fonds LTCM est tombé en quasi faillite. Et son effondrement a menacé de faillite tout le système financier international. Les délires de deux financiers malades menaçaient l'équilibre du monde. Alors …
Comme dans tout conte, il y a une morale ; il yen a même deux.
Les banques, américaines et même européennes, ont recapitalisé le fond, avec leur argent, c'est à dire le vôtre, le nôtre, le mien.
Et Merton et Scholes, en bons hérauts – héros d'une épopée moderne ont eux-mêmes été largement remboursés de leurs frais.
Ils demeurent pour les siècles de siècles au Panthéon des dieux de l'économie.
C'est Bernard Maris en fait qui tire la vraie morale de l'histoire, en donnant la parole à Pareto, un autre grand gourou de l'économie libérale : « à celui qui a su gagner des millions, que ce soit bien ou mal, nous donnerons 10 sur 10 ; à celui qui arrive tout juste à ne pas mourir de faim, nous donnerons 1 sur 10 ; à l'habile escroc qui trompe les gens et qui sait échapper aux peines du code pénal, nous donnerons 8, 9 ou 10 selon le nombre de dupes qu'il aura su prendre dans ses filets et l'argent qu'il aura su leur soutirer. »
Et Bernard maris de conclure : « et aux escrocs qui ont su perdre tout leur fric et se faire rembourser cash par un consortium de banques, on donnera 100 sur 10. »
ANNEXES
Les annexes en fait sont plus intéressantes que la critique.
Plus intéressantes mais à une condition – qu'on ne les lise pas. D'ailleurs elles sont illisibles .
Qu'on se contente donc de les survoler. Vertige garanti.
ANNEXE 1
La formule de Black et Scholes
La présentation qui suit est à la fois incomplète et totalement erronée – ne serait-ce que parce que mon clavier d'ordinateur est incapable de reproduire tous les signes cabalistiques de la fameuse formule.
Et cela n'a évidemment aucune importance. Il suffit de survoler (bis) et de se laisser griser par le vertige, se laisser prendre par la beauté des équations ou par l'absurdité de l'affaire (il ne faut pas oublier que l'excitation est logée quelque part là-dedans …)
La formule de Black-Scholes permet de calculer la valeur théorique d'une option européenne à partir des cinq données suivantes :
S 0 la valeur actuelle de l'action sous-jacente,
T le temps qu'il reste à l'option avant son échéance (exprimé en années),
K le prix d'exercice fixé par l'option,
r le taux d'intérêt sans risque,
σ la volatilité du prix de l'action.
Si les quatre premières données sont évidentes, la volatilité σ de l'actif est difficile à évaluer. Deux analystes pourront avoir une opinion différente sur la valeur de σ à choisir.
Le prix théorique d'une option d'achat, qui donne le droit mais pas l'obligation d'acheter l'actif S à la valeur K à la date T, est caractérisé par son payoff : ( S T − K ) + = max ( S T − K ; 0 )
Il est donné par l'espérance sous probabilité risque neutre du payoff terminal actualisé
C = E ( Payoff × e − r T )
soit la formule de Black-Scholes :
C ( S 0 , K , r , t , σ ) = S 0 N ( d 1 ) − K e − r T N ( d 2 )
De même le prix théorique d'une option de vente, de payoff ( K − S T ) + = max (K – Sr ; 0) est donné par :
P ( S 0 , K , r , t , σ ) = − S 0 N ( − d 1 ) + K e − r T N ( − d 2 )
avec
N la fonction de répartition de la loi normale centrée réduite N ( 0 , 1 ) , c'est-à-dire N ( x ) = ∫ − ∞ x 1 2 π e − 1 2 u 2 d u
d 1 = 1 σ T [ ln ( S 0 K ) + ( r + 1 2 σ 2 ) T ]
d 2 = d 1 − σ T
ANNEXE 2
Le schéma est par contre redoutablement clair. Il montre les évolutions comparées, sur une durée de quatre ans, des bons du trésor américain (ligne du bas avec une progression régulière et très lente), de l'indice boursier (le Dow Jones, ligne médiane, avec sa progression hachée) et le fond LTCM avec sa montée vertigineuse et sa chute à la verticalité absolue comme au grand huit.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Long_Term_Capital_Management#/media/File:LTCM.png
Une courbe, mais cette fois à la lisibilité immédiate, et tout est dit.
ANNEXE 3
La communication macronienne
On change de registre. Mais on n'est pas forcément hors-sujet : comment passer du langage illisible des mathématiques quand elles sont détournées au profit de l'économie, au langage abscons et grotesque de la communication macronienne, récupérant le langage de l'entreprise, le corporate language, pour dissimuler derrière les paillettes (ben grotesques) de la novlangue le vide sidéral du propos.
Voici donc la méthode (c'est trop peu dire, la philosophie!) macronienne déclinée dans ce nouveau langage.
Petit exercice : traduire en français cet article écrit en corporate language :
C'est un peu la culture du privé qui pénètre dans les palais de la république. Une culture de l'entreprise qui s'exprime (...)
Ce n'est donc pas le chef de gouvernement qui adresse leurs feuilles de route aux ministres mais ces derniers, nommés pour leur expertise, qui précisent noir sur blanc le problème qu'ils veulent mettre en œuvre : c'est bottom-up, précise-t-on à Matignon ; on considère que ce n'est pas parce qu'on est tout en haut qu'on connaît mieux le sujet.
En revanche pour rédiger ces quelques feuillets, chaque membre du gouvernement a été prié de bien prendre pour point de départ le programme du président. Là c'est top-down.
Ces drafts auront pour première vocation d'alimenter le discours de politique générale du premier Ministre. « On est très processé » explique en effet un collaborateur.
Solution : il suffit de supprimer tous les termes "spécialisés" – Nul besoin des drafts ni du process, encore moins du bottom-up ou du top-down pour saisir l'insignifiance du message, qui pourrait être résumé en une ligne, parfaitement simpliste et aux limites de la niaiserie. C'est ça, le macronisme.
N.B. Certes chaque domaine a droit a son langage – l'entreprise comme la philo, la mécanique, la médecine, le droit, les impôts … Mais ici le langage n'est qu'un cache-misère, un artifice ridicule uniquement destiné à camoufler du néant.
ANNEXE 4
Et jusqu'à SC
Il y a plus grave – ou plus dérisoire. La lèpre de l'imposture s'étend sur SensCritique et , pire encore, sur les plus jeunes de ses membres. Cela se passe dans les commentaires qui suivent la critique de l'ami -Piero – (salut amical) consacrée au Manifeste du Parti Communiste – critique argumentée, ouverte, sans aucun souci de polémique. Mais une malédiction s'est décidément abattue sur l'auteur et on n'échappera pas à la polémique, pire au pugilat entre deux économistes en herbe, un hétérodoxe anti-libéral et un libéral pur jus. L'empoignade tourne à la violence verbale et interminable, dialogue de sourds , en boucle, comme si les jeunes (???) n'avaient pas autre chose à faire. C'est grave, dans le double sens du terme.
A désespérer.
Tout est là, dans la dernière partie des commentaires, la joute opposant Kymi et Lowmy. Je n'ai pas copié-collé – c'est vraiment trop long. Et -Piero-, parfaitement sage, n'a pas jugé bon de s'immiscer dans le « débat »
https://www.senscritique.com/livre/Manifeste_du_parti_communiste/critique/90712991
P.S. Mais il ne faut pas être trop injuste - l'argumentaire de l'économiste hétérodoxe est étayé, documenté et intéressant ; l'autre, le libéral, qui déroule le catéchisme habituel, ses éternels exemples manipulés, ses slogans serinés jusqu'à l'abrutissement, on s'y serait un peu attendu, est totalement inepte.
En matière de conclusion
Il est tard, tout est dit et on peut abréger.
Le goudron et les plumes.
Est-ce que ce monde est sérieux ?