Première version avant étude.
S'il y a quelque chose qui me laisse complètement indifférente en littérature, c'est bien les correspondances. Pourquoi ? Ca ne m'a jamais intéressée. Je ne parle pas des romans épistolaires, comprenons-nous bien (bien que ce ne soit pas ma tasse de thé, exceptée mon oeuvre préférée, Les Liaisons dangereuses), mais des correspondances d'hommes ou femmes de lettres, d'artistes - je préfère me plonger directement dans l'oeuvre. Les lettres, je les lis quand elles m'apprennent des choses dont j'ai besoin pour mes cours - mais par plaisir, ça ne me viendrait pas à l'esprit. L'idée me barbe.
Bref, après cette longue introduction, venons-en à nos moutons : aurais-je lu les Lettres de Madame de Sévigné si je n'y avais pas été "forcée" ? Non, je ne crois pas. Non pas que Mme de Sévigné ne soit pas intéressante - nierais-je son talent d'épistolière ? - mais plusieurs facteurs rendent la lecture éprouvante :
- ce n'est pas une correspondance à proprement parler mais un choix de lettres de Mme de Sévigné uniquement, pour la simple et bonne raison que les réponses ont été perdues, ou détruites
- la principale destinataire de ces lettres est sa fille, Mme de Grignan, ce n'est donc pas d'une grande variété
- les sujets abordés sont... comment dire... redondants ?
Car dans ses lettres, adressées principalement à sa fille donc (on estime le nombre de lettres qu'elle lui a écrites à 769, contre 2 à son fils (...)), sont, comme le dit avec brio l'introduction, des variations autour d'un thème majeur : l'amour que Mme de Sévigné porte à sa fille. Ah oui tout de suite, ça fait moins envie.
Pourtant, outre les lamentations éternelles du genre "oh mon Dieu ma fille tu ne m'aimeras jamais autant que je t'aime, je n'ai pas de lettre de toi depuis une semaine, je vais mourir de douleur, c'est terrible, tu es pourtant la créature la plus aimée du monde" *sanglots*, on remarque une évolution, du début de la correspondance à l'ultime lettre de 1696, année de la mort de la marquise. En effet, l'amour devient peu à peu moins violent, moins hérétique - car l'idolâtrie de Mme de Sévigné pour sa fille était telle que Dieu passait au second plan, ainsi qu'elle l'avouait elle-même - et plus raisonné. On assiste à la conversion janséniste de la mère, voulue pour cesser de souffrir par sa fille.
Ainsi, heureusement, Mme de Sévigné n'est pas seulement une folle surprotectrice et paranoïaque, car elle finit par se maîtriser, dans une certaine mesure. Elle aborde de plus d'autres sujets dans ses lettres : principalement des nouvelles de la cour, de ses proches etc.
Car Mme de Sévigné, grâce à ses lettres, se pose en précieux témoignage de son époque. De la médecine humorale presque magique, aux guerres destructrices et glorieuses, en passant par les aventures du Roi (amantes, maladies, petites répliques cinglantes...), c'est tout le XVIIe siècle qui est dépeint. La plume est souvent piquante, voire acerbe, et notre épistolière s'amuse, à travers des anecdotes diverses ; mais les sujets sérieux sont légions, entre dépenses, politique, religion... Mme de Sévigné est à la fois une mondaine, qui eût aimé vivre à Versailles et se délecte des potins de la cour ; et à la fois une femme pleine de recul, voire d'une certaine cruauté désintéressée. Une femme d'esprit, éduquée, et une femme qui sait écrire.
En effet, Mme de Sévigné est d'abord à lire pour son talent d'écriture : son style impeccable et vaguement précieux, ses boutades, ses procédés stylistiques, ses références érudites (La Fontaine, Molière, Virgile, l'Arioste...), ses petites compositions quelquefois. Pourquoi, sinon, lirait-on encore aujourd'hui les déboires passionnels d'une mère avec sa "chère bonne" ?
Je crois que lire Mme de Sévigné est loin d'être indispensable ; mais la marquise est un personnage-clef de son siècle, qui fut d'ailleurs proche des plus grands, en littérature (La Rochefoucauld, Mme de La Fayette...) et de manière générale. Il est donc enrichissant de lire, sinon toutes, sinon les Lettres choisies, quelques lettres prises de-ci de-là. Pour le personnage et ses folies furieuses ; pour une approche plus historique ; pour une histoire d'amour, aussi, fusionnelle et presque dérangeante aujourd'hui.
Et pour le thème de la spé lettres modernes : en quoi peut-on dire de Mme de Sévigné qu'elle est représentative d'une "écriture au féminin" ? Un petit ton précieux, quelques remarques sur les femmes (Mme de Sévigné ne voulut jamais se remarier après son veuvage, par un esprit d'indépendance certain), une plume parfois affectée et mordante dans ses potins... Quelques pistes sans doute, si vraiment "écriture au féminin" il y a.