Ce petit livre, édité par "L'Asiathèque" pour une collection appelée Liminaires qui semble prometteuse, est un très beau regard sur la vie japonaise, une observation en petites touches , où se mêle l'expérience de vie d'une vieille japonaise et le regard distancié d'un auteur européen. Car ces lettres qui décrivent la vie quotidienne dans le petit village d'Ogura (en élargissant à la vie du Japon en général) semblent émaner à la fois de l'universitaire qui visite le lieu et de la vieille dame qui témoigne de sa vie.
Observant la nature japonaise, s'appuyant sur des détails infimes de la routine d'une personne âgée, l'auteur dresse un portrait subtil et très intéressant de la société nippone. Je suis assez bluffé par la masse d'information que nous donne ce petit livre en quelques lignes à peine, que ce soit lorsqu'il nous donne à lire les idéogrammes de certains mots, décrit les petites règles du quotidien, ou lorsqu'il aborde des thèmes plus larges comme la religion shintoïste, l'importance du chez-soi, la valeur du riz, ou les traces de la guerre. Ce livre est économe de mots parce qu'il décrit son sujet avec justesse et émotion. On ressent l'expérience de la vieillesse ou le passage des saisons chez cette dame, comme dans ce village obscur et ses maisons en ruines qui bruissent de maintes histoires.
J'ai été intrigué de retrouver ici une observation déjà rencontrée ailleurs (dans le "HomoJaponicus" de Muriel Olivet, et partout dans l'oeuvre de Murakami.) à propos de "l'exclus", du "disparu" dans la société japonaise. Hubert Delahaye nous parle en effet de cette effet de disparition qui touche les individus qui pour toutes sortes de raisons ont le sentiment d'avoir perdu la face et qui s'évanouissent dans une marginalité invisible (et parfois dangereuse, comme ces Yakuzas, sortes de réfugiés recueillis par la pègre).
Très bonne lecture, très belle écriture, touchante et analytique à la fois, empreinte de finesse et presque de nostalgie. Étonnant et recommandé, guys et guysettes!