Maddalenina vient d’avoir cinquante ans et elle vit seule. Ses proches, sa raison, et même son ombre, semblent l’avoir abandonnée depuis longtemps. Sa pension d’invalidité et les «nabrons» qu’elle brode et troque chez les commerçants du village sont ses seuls revenus. Tous les habitants, oscillant entre indifférence et méchanceté, l’évitent ou la repoussent car elle est folle et malodorante. Seules une horloge à coucou, abritant un oiseau empaillé et bruyant, et Maria Carta la guérisseuse, une vieille femme silencieuse, lui tiennent lieu de compagnie. Compagnie peu loquace puisque Maria Carta écoute les soliloques de Maddalenina sans mot dire, absorbée dans des pensées intérieures qui leur font écho.
«Je pourrais me détendre et me décider à croire que je suis en train de rêver Maddalenina, l’idiote que personne ne veut dans ses pattes, d’abord parce qu’elle a perdu ses boulons un mois avant de naître, et ensuite parce qu’elle nous déconcerte avec ses odeurs de réglisse dans la bouche et d’excréments en bas du dos.»
Mais Maddalenina est en général d’une humeur divine et, au registre de ses nombreuses incongruités, elle décide d’avoir un enfant à tout juste cinquante ans, avec l’aide d’un cierge et de trois hommes du village qu’elle s’est choisi comme maris, avec une absence totale d’expérience et de discernement ; trois hommes que Maria Carta décrira ainsi : «un homme qui a perdu ses attributs par accident», «un gamin qui n’a encore jamais vu son membre dressé», et «un vieil homosexuel qui, à part son rejet des femmes, conserve, j’imagine, le contenu de son caleçon dans une bonne dose de naphtaline».
Miracle ! Malgré l’incongruité de ses hommes, le ventre de Maddalenina s’arrondit inexplicablement.
«Maddalenina se réveilla d’une humeur divine, compta ses dents avec sa langue et constata avec un soupir qu’elle n’en avait perdu aucune cette dernière nuit encore. Elle s’assit à table pour le petit-déjeuner et se prépara à tomber amoureuse. Elle saupoudra de sucre deux tranches de pain, pour commencer à apprendre à faire la gueuse juste ce qu’il faut, caractéristique relevée chez toutes les femmes qui avaient réussi à amener un homme dans leur lit. Elle comprit avoir tout à apprendre en la matière et elle ne disposait pas de beaucoup de temps. Elle était dans sa dernière année utile pour se reproduire, ensuite son sang fertile allait pourrir, comme c’était arrivé à sa mère, qui, cinquante années exactement après sa naissance, recueillit dans un sachet de lin ce qu’elle devina être sa dernière coagulation rabougrie, et l’enterra sous un quelconque figuier sauvage ; cracha sur la terre et, à Maddalenina qui était là, dit. Ne viens jamais prier là-dessus.»
Avec Savina Dolores Massa, et Laurent Lombard pour la traduction française aux enthousiasmantes éditions de l’Ogre (Mars 2015), le miracle est dans l’écriture : le trivial et la folie se métamorphosent ici en un récit poétique et théâtral joyeusement macabre, satire burlesque et poignante, à la manière d’un Ascanio Celestini (La brebis galeuse, 2010), d’un milieu borné qui secrète son propre pourrissement, subtilement doublé tout au long du récit par le jeu des personnages, d’une réflexion sur la création littéraire, la posture de lecteur, de personnage et d’écrivain.