Paris, 1935: des gagnants de la Loterie nationale meurent dans des circonstances étranges. Un trio de “gueules cassées” – des vétérans de la Grande guerre mutilés de la face – enquêtent, pendant que des scientifiques se livrent à des expériences étranges et que des agents étrangers conspirent dans l’ombre. Malheur aux gagnants, le dernier roman de Julien Heylbroeck, ressemble à du pulp, mais ça n’en est pas. C’est mieux que cela.
À ce stade, il serait peut-être honnête de ma part de dire que je considère Julien comme un ami ou, à tout le moins, un collègue en rôlisterie et que, du coup, je n’ai pas envie d’en dire du mal (ne serait-ce que parce qu’il est plus costaud que moi). Coup de chance: sur ce bouquin, je n’en ai pas besoin.
Certes, si on s’en tient aux grandes lignes, on n’est pas en face du roman du siècle. C’est une enquête dans un contexte historique avec une touche de fantastique – ou plutôt de “merveilleux scientifique”, pour reprendre l’expression de l’époque pour parler de science-fiction. Ce qui, à mon avis, le rend fascinant, c’est le soin porté au contexte et aux détails d’icelui.
Car, même pour des gens qui connaissent bien la ville, le Paris de 1935 pourrait tout aussi bien être sur une autre planète. La géographie a bien changé depuis, que ce soit les Abattoirs de la Villette, dans le nord-est de la ville, ou les quartiers populaires insalubres du XVe arrondissement. Et, surtout, l’ambiance des rues est très différente.
Moi qui pensait connaître un petit peu cette période, j’ai découvert une blinde de choses. Parce que le sieur Heylbroeck, quand il se documente, il ne fait pas semblant. Déjà, le fait que la Loterie nationale était, à l’origine, gérée par l’Union des blessés de la face, une association de mutilés de guerre.
Et d’ailleurs, ce sont eux qui sont les héros de Malheur aux gagnants: Gendrot, Fend-la-Gueule et Piquemouche, enquêteurs dilettantes engagés par leur patron pour faire la lumière sur le décès consécutif des deux derniers gagnants du gros lot. La police penche pour une coïncidence; vous vous en doutez bien, elle a tort.
Ce trio est bien posé et loin des clichés: on a parmi eux un aveugle devenu végétarien par dégoût du sang et un brave père de famille. Certes, leur vie n’est pas des plus faciles, entre les regards de leurs contemporains, les traumatismes qui, vingt ans après, sont toujours présents, et les problèmes médicaux qui ne s’améliorent pas avec l’âge. Mais ils sont vivants – j’allais dire “bon pied, bon œil”, mais ça n’aurait pas été très délicat.
Et puis il y a la langue de l’époque, mâtinée d’argot – ou d’argots, encore que je n’ai pas vu de javanais dans le texte. L’auteur semble beaucoup s’amuser à donner à ses personnages une voix qui leur est propre: style populaire pour les détectives, direct et sans fioriture chez les agents, ampoulé avec les scientifiques.
Bref, je pourrais pinailler sur l’intrigue et le rythme, qui ne sont pas toujours parfaitement maîtrisés, mais Malheur aux gagnants est un roman qui vaut surtout par son côté immersif. Ce n’est clairement pas le même style que Stoner Road, mais c’est très chouette.
*Article précédemment publié sur https://alias.erdorin.org *