Pierre Decourcelle (1856 - 1926) est un auteur français complètement passé à la trappe et dont plus personne ne se souvient aujourd'hui, guère plus que son père, Adrien Decourcelle, lui aussi auteur et dramaturge. Pourtant, à l'instar de celles De Balzac, De Maupassant, de Zola, de Dumas, d'Hugo et de tant d'autres de ses contemporains, il est difficile de trouver plume classique plus prolixe.
Pour preuve les 1 200 pages de "Mam'zelle Misère" - un roman mouvementé qui fait la part belle aux rebondissements et à la vengeance - à travers lesquelles errent les influences incontestables des susnommés, auquel on peut même adjoindre une touche de Jules Verne, c'est vous dire !
Aujourd'hui introuvable, ce roman-fleuve aux mille et une péripéties qui fait voyager le lecteur de Paris à Rio en passant par le bagne de Cayenne et les contreforts des Alpes, est heureusement disponible sur le précieux fonds numérisé Gallica de la BNF.
Le comte Gérard d'Ormilly, pilier de l'intrigue, a en effet tout du comte de Monte-Cristo. Acculé au crime par une misère noire et de sordides complices, Gérard est arrêté et condamné à casser du caillou pendant quarante ans. Enfin libre, il n'aura de cesse de retrouver les malfaiteurs qui l'ont fait tombé dans leur piège savamment tendu et qui coulent des jours heureux. Une quête nouvelle se révèle alors à son esprit : se venger le plus complètement possible et retrouver sa femme et sa fille que sa condamnation a jetées sur les routes, dans le plus profond dénuement.
Publié en feuilletons comme c'était alors l'usage, "Mam'zelle Misère" ne lésine ni sur les rebondissements incessants ni sur certaines incohérences, insuffisantes toutefois à gâcher le plaisir de la lecture. En 1 200 pages, on a le temps de s'attacher aux nombreux protagonistes, ou, au contraire, celui de nourrir à leur endroit le ressentiment le plus violent, largement justifié par leurs agissements.
Côté style, c'est du petit lait pour tout amateur de la période même si j'ai pu déplorer l'emploi abusif des superlatifs et certaines répétitions qui font bien sentir que l'auteur était payé à la ligne. Au final, je suis très heureuse d'avoir exhumé cette oeuvre colossale que j'ai lue avec autant de plaisir qu'un Dumas, et ce n'est pas peu dire.