Berthe a 102 ans, et faut pas trop lui chier dans les bottes.
Ça, on le comprend de la première page quand la police donne l'assaut de sa petite "chaumière", après qu'à l'aide de sa fidèle .22, elle a fait "un trou dans le dos, un autre dans le cul, en plus de l'officiel" à son voisin pour permettre à un couple de jeunes tourtereaux, mais criminels, de prendre la fuite.
" *- Rentrez chez vous sales Gitans! J'suis armée et j'me laisserai pas faire!
Le flic au mégaphone hésite, s'interroge, puis reprend:
- Madame c'est la police. Sortez de chez vous, ne craignez rien.
-J'vais pas m'laisser berner! J'le connais l'coup d'la police! Vous voulez m'faire sortir pour m'violer! J'suis qu'une vieille grand-mère qu'a qu'la peau sur les os bande de détraqués!*"
Non sans mal, Berthe se retrouve finalement dans le bureau de André Ventura, le flic un peu cliché, un peu usé par la vie, mais au cœur d'or.
Elle lui fait la misère à Lino, ou Columbo, selon son humeur, mais il se laisse attendrir, du moins jusqu'à ce qu'on trouve un cadavre enterré dans la cave de Berthe.... puis un deuxième.
Là c'en est trop, va falloir qu'elle s'explique la mamie flingueuse.
Mamie Luger c'est l'histoire d'une femme du siècle.
Née en 14, elle grandit dans un monde sans homme, lesquels hommes pourtant, en revenant, ne manqueront pas de lui apprendre qu'elle a un rôle à jouer, mais qu'il consiste surtout à la fermer pendant qu'ils décident pour elle.
Autant vous dire qu'elle va pas apprécier des masses, Berthe, et que ça va être plutôt sanglant.
Au cours d'une journée et d'une nuit d'interrogatoire, Berthe va livrer l'histoire de sa vie, celle d'une héroïne tragique, féministe sans revendication, juste parce qu'elle entendait vivre sa vie à une époque où on l'aurait encore bien volontiers mise au bûcher.
Mamie Luger est un roman d'une incroyable drôlerie, les dialogues sont un pur bonheur, qui ne sont pas sans invoquer la verve d'un Audiart (père).
Mais au-delà, Benoît Philippon livre le portrait sensible d'une femme qui se bat pour suivre son propre chemin, et rappelle à quel point il peut être difficile vivre en se restant fidèle.
Assurément Berthe Gavignol est un personnage qu'on n'est pas près d'oublier!