https://footballophile.wordpress.com/2015/06/08/marcelo-bielsa-el-loco-unchained-thomas-goubin-eloges/


Il serait peu pertinent de rentrer dans le détail, de résumer de manière exhaustive le livre : il est suffisamment accessible – dans tout les sens du terme – pour que chacun le lise. A la place, il sera question de rendre compte du personnage en appui sur le livre selon un triptyque : éloge de l’effort, éloge de l’échec et éloge de l’utopie (avouez le, vous pensiez tous que ce serai éloge de la folie, hein ?).


Éloge de l’effort


Thomas Goubin vise juste d’entrée, en évoquant le stakhanoviste qu’est Bielsa, épris d’une « quête de justesse, de vérité, qui confine à la torture. Pour lui-même, pour son cerveau, aussi, pour ses joueurs ». Sa vie, sa philosophie de jeu, tout repose sur cette question de l’effort, qu’il impose à tous. Cet effort, il se manifeste dans sa pratique novatrice de la vidéo, du mouvement de ses joueurs sur le terrain. La rigueur scientifique qu’il met en place pour l’apprentissage et le jeu, nécessite un effort entier, seule voie possible pour l’objectif de progrès et de succès.


En avril dernier, lors d’une conférence de presse, les médias sont majoritairement passé à côté d’un élément essentiel, sans doute car Bielsa était trop prêt du football et donc éloigné de leurs intérêts. Le coach marseillais explique la mauvaise période de l’équipe « N’importe quel leader a comme fonction principale d’augmenter la tolérance à l’adversité. Il y a un terme qui est la résilience. Ça vient de la physique. C’est la capacité d’un corps à maintenir sa forme même si on l’oblige à changer. Je n’ai pas pu maintenir la forme de l’équipe face à l’adversité. Les joueurs ont tout donné pour que cela n’arrive pas. Mais c’est quand même arrivé. » Dans un article, MediaFootMarseille mentionnait Boris Cyrulnik, qui a transposé le concept de résilience dans le champ de la psychologie, où il est question de « renaissance après la souffrance ». Une notion qui fait évidemment sens avec le parcours de Bielsa tel que le raconte l’ouvrage, et une transition pour le second point.


Éloge de l’échec


Toutefois, comme ne manque pas de souligner ses détracteurs, Bielsa n’a pas connu que le succès, au contraire. Néanmoins, il ne voit pas l’échec comme un obstacle improductif, du moins en théorie. Car comme le rappelle Thomas Goubin, Bielsa estime l’échec comme formateur, nous rapprochant de nos convictions, imposant une cohérence. Or, en pratique il ne parvient pas à accepter à la défaite d’un point de vue personnel, à l’image du Mondial 2002 avec l’Argentine, qui l’a profondément marqué.


Thomas Goubin rapporte les propos de Bielsa : « Je tiens à souligner qu’il vaut mieux être prestigieux que populaire, que le parcours qui nous mène quelque part est bien plus important que le succès espéré, que les faits sont plus significatifs que les mots, que démontrer est plus important que parler, qu’il faut ouvrir la voie à tout ce qui nourrit ce qu’il y a de noble en nous, et éviter ce qui stimule nos instincts les plus mesquins. » Il s’agit là de comprendre que si la défaite est valorisé – du moins en théorie, on l’a dit – c’est surtout car ce qui importe n’est pas tant la victoire en soi. Abordons alors le dernier acte et le plus important.


Éloge de l’utopie


La première utopie de Bielsa, c’est sa philosophie de jeu. Le bielsisme c’est deux synthèse : celle du menottisme et du bilardisme, puis celle de l’habilité argentine et de la mécanisation européenne. Ainsi, Bielsa s’évertue depuis des années à construire des équipes selon un principe de jeu ambitieux mais non négociable : « Je crois que cela devrait prendre la forme d’une affirmation, bien jouer pour gagner, pas d’une question offrant deux options ». Mais au-delà d’équipes, Bielsa construit des footballeurs et des hommes. On arrive alors à la seconde utopie.


En effet, si Bielsa a toujours loué l’intégrité et l’éthique, c’est parce qu’il s’agit de valeurs ayant plus d’importance que les trophées ; ou plutôt, les trophées n’ont de sens que s’ils sont le fruit de ces valeurs. Jean-Marie Muller, philosophe et écrivain, dit que « contrairement à une idée reçue, la non-violence ne refuse pas les conflits, bien au contraire. Loin de bannir l’agressivité, elle la canalise. Elle entend établir un rapport de force qui respecte l’intégrité de chacun, pour aboutir à des objectifs précis. Elle s’appuie sur une conviction forte, exprimée par Gandhi : la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence. » Peu étonnant, alors, d’apprendre que Bielsa admire profondément Gandhi. Dans son livre, Thomas Goubin rapporte les paroles de Kily Gonzalez à propos de Bielsa : « Il cherchait la perfection, alors que la perfection n’existe pas… Mais, peu importe, lui la cherchait ». On touche au plus près de l’enjeu de son travail. L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, tenait en 1940 un discours qui épouserait à merveille son parcours : « Je me rapproche de deux pas, elle s’éloigne de deux pas. Je chemine à dix pas de l’horizon et l’horizon s’enfuit de dis pas plus loin. Pour autant que je chemine, jamais je ne l’atteindrai. A quoi sert l’utopie ? Elle sert à cela : cheminer ». Plus tôt dans le XXème, le poète espagnol Antonio Machado écrivait : « Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin ; le chemin, tu le fais en marchant… ». Partout où il est passé, Marcelo Bielsa aura laisser des hommes qui auront aimé marcher avec lui, car il les a fait emprunter un chemin différent, un chemin vertueux, le sien.


Voilà une parfaite illustration de ce que nous raconte Thomas Goubin, sur le plus sensé des fous, celui dont « la seule folie est son excès de vertus » : pour Bielsa, il ne faut pas évaluer ce qui a été obtenu, mais ce qui a été mérité. Ainsi, comme ses adeptes on sait que le temps lui donnera raison ; comme les supporters de Bilbao on ne peut que constater : « A lo loco se vive mejor ».

Cthulhu
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le 8 juin 2015

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