Sublime !
Quelle émotion !
Trois fois heureux les princes imbéciles et oisifs qui peuplent les pages jet-set des torchons populeux qui s'auto-proclament journaux, trois fois heureux les ducs des Asturies, de Savoie, de Cornouailles et confrères qui, parce que les temps ont changé (heureusement !), peuvent choisir qui aimer et s'adonner à une vie de frasques pseudo-romanesques.
Dans cette très courte biographie romancée, Claude Anet (de son vrai nom Jean Schopfer), qui a erré toute sa vie sur les routes d'Europe, cultivant ainsi une curiosité érudite pour son histoire, lègue au lecteur, seulement un an avant sa disparition en 1931, un témoignage bien documenté et bien écrit sur la tragédie de Mayerling ou comment l'archiduc Rodolphe, héritier présomptif de la double monarchie austro-hongroise, s'est suicidé avec sa dernière maîtresse, la jeune baronne Marie Vetsera, dans son pavillon de chasse, au coeur de la forêt viennoise.
Etrange comment la culture populaire, aidée en cela par les films d'Ernst Marischka et le jeu lumineux de Romy Schneider dans le rôle principal, a forgé autour de François-Joseph et d'Elisabeth, empereurs d'Autriche et rois de Hongrie, un mythe romantique alors que leur union fut un réel désastre sur le plan sentimental, les deux époux n'ayant jamais été capables de s'aimer au point d'être heureux et Sissi ayant subi son existence comme un prisonnier traîne son boulet. Etrange, dis-je, car combien plus poignante est la tragédie ayant marqué de son fer rouge la vie de leur fils unique Rodolphe, ce prince aux idées libérales, contraint d'épouser une femme qu'il méprisait, la princesse Stéphanie de Belgique, et écrasé par l'exercice d'un pouvoir qu'il méprisait tout autant, se sachant totalement impuissant à renverser la sécularité figée de la maison Habsbourg qu'il était pourtant promis à diriger après son père.
Claude Anet, avec des mots simples et une érudition qui n'empiète jamais sur la narration au point de la rendre pesante, retrace la genèse de la passion qui a uni pendant huit mois et deux nuits, de mai 1888 à janvier 1889, Rodolphe à la très jeune Marie Vetsera, 16 ans, reine de beauté de Vienne, éperdument amoureuse de lui et qui, avec une maturité exceptionnelle chez un être aussi jeune et conditionné par sa condition d'aristocrate, se donnera entièrement, jusqu'à suivre son impérial amant jusque dans la mort, la seule issue qui leur soit laissée par une société résolue à les emprisonner, lui entre les murs de la redoutable Hofburg, le palais impérial, elle dans le carcan d'une morale qui exclut totalement toute idée d'amour non-légitimé.
En seulement 250 pages, l'auteur dresse un tableau très juste du contexte politique et social de l'Empire Habsbourg à cette période charnière de la fin du XIXème siècle où déjà, avec l'avancée des idées politico-sociales et en raison de son cosmopolitisme bancal, il tremble sur ses bases et vacillera quelques années plus tard à Sarajevo.
La narration, épurée et simple, s'exprime cependant à travers une belle montée en puissance émotionnelle qui ne pourra laisser aucun lecteur insensible quand éclatera le drame, dans une apogée de violence morale et physique. "La mort est-elle vraiment le seul refuge où les amants malheureux se retrouvent, mais pour l'éternité ?" questionne l'auteur. Nul ne peut l'affirmer mais on se prend à espérer de toute notre âme que Rodolphe et Marie ont fait le bon choix même si ce n'en était pas vraiment un.
PS : je déconseille vivement le film de Terence Young (1968) avec Catherine Deneuve et Omar Sharif en têtes d'affiche ; n'est pas Romy Schneider qui veut.
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