Même si le premier roman en français de l’écrivain et diplomate irlandais Dov Lynch, paru en février 2015 aux éditions Anacharsis, a tous les ingrédients d’un thriller, d’un voyage sous tension sur fond de conflits armés, il en reste surtout la vision prégnante d’une famille et d’une humanité en franges, désunie et rongée par les rivalités et les guerres.
Après le décès lent et pénible de son père malade, ancien homme fort de l’IRA, Dimitris quitte l’Irlande à la recherche de son frère Nico, son "frangin", qui a aussi été son frère d’armes au sein de l’IRA. Nico est parti aux confins de l’Europe, en Abkhazie, sur les traces de sa mère d’origine grecque, évanouie des années auparavant vers Soukhoumi semble-t-il, sa terre d’origine.
«Son père lui avait dit que la mer Noire était une mer oubliée, perdue dans un pli de la carte entre l’Europe et l’Asie. Les Grecs s’étaient implantés autour de ses rives et y avaient fondé des ports et des villes fortifiés, entourés de peuples à ses yeux résolument sauvages. De Scythes et d’autres peuples nomades. Il avait dit que le mot grec barbaros, était né de cette rencontre, une onomatopée pour évoquer quelqu’un qui parlait une autre langue que le grec. À l’origine, les Barbares n’étaient pas plus que ça.»
Quittant la «paix factice» de l’Irlande pour une autre fausse guerre – le roman se déroule au début des années 1990, en plein conflit abkhazo-géorgien -, Dimitris entreprend ce voyage à l’instinct et à l’azimut, pour traverser l’Europe jusqu’à sa frange au bord de la mer Noire. Soldat perdu pendant des années au cœur d'une guerre fausse et absurde en Irlande, il est habitué à la violence, à emmurer ses paroles et ses émotions, et entreprend ce long voyage avec très peu de mots.
«Il traversait le continent comme s’il connaissait déjà le chemin, voyageant au rythme du train, entraîné dans son mouvement, calfeutré dans le bruit des moteurs. Au fil des kilomètres, il avait l’impression de découvrir une nouvelle géographie du continent, une géographie mobile, comme si la terre n’était plus fixe, qu’elle évoluait au fur et à mesure qu’il avançait.»
Ce voyage aux confins de l’Europe dans les convulsions de l’histoire et des conflits donne l’impression d’un flottement, d’un homme en quête d’identité, qui s’abandonne au rythme des trains et des bateaux sans connaître vraiment le but de son périple, laissant affluer en lui les souvenirs et paroles de son père disparu.
«Son père lui avait dit que c’était une mer empoisonnée. Elle plongeait deux mille mètres en profondeur mais quatre-vingt-dix pour cent de son volume ne supportaient pas la vie, suffoquée par une concentration de sulfure d’hydrogène, produit de tous les détritus apportés par les fleuves qui la nourrissaient. Par le Danube, le Dniepr, le Dniestr. Trois fleuves aux consonnes insondables.»
Un premier roman qui livre, tout en sobriété, la vision d’une humanité empoisonnée par les buts qu’elle poursuit et où tout peut basculer, comme ça, sans un mot.
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