"Der Metzger", le début d'une série policière décalée et ironique.

Moins corrosif que Wolf Haas, moins onirique qu'Heinrich Steinfest, Thomas Raab partage avec ses compatriotes un goût prononcé pour le roman décalé, digressif, ironique.

Metzger sort de son trou doit à la personnalité de son héros d'être un polar un peu particulier. Willibald Adrian Metzger est un célibataire misanthrope et poivrot que rien ne destinait à une carrière, même amateur, d'enquêteur. Si Dobermann, le cadavre qui s'éclipse dans la nuit, n'avait pas été comme lui lycéen de la terminale B en 1980, si Metzger n'avait pas été le souffre-douleur stoïque de toute cette classe, dernier échelon de la chaîne de pouvoir qui s'était alors mis en place, il y a fort à parier qu'il aurait continué à restaurer, solitaire, de la commode baroque et du meuble Biedermeier le reste de sa vie.

Pour mener son enquête, découvrir la face cachée de ses anciens condisciples perdus de vue depuis vingt ans, abandonner cette routine qui le coupait de tout/tous et continuer de gagner en confiance, Willlibald doit obligatoirement “ liquider ” son passé, comme il le ferait dans une démarche analytique. On le voit donc évoquer, avec ironie, autant ses parents – père absent, mère abandonnée pleine de principes qu'elle a oublié de s'appliquer –, que ses souvenirs de premier de la classe maltraité et battu, ou les plaisirs de sa morne existence de restaurateur. Résoudre le mystère de l'assassinat de Deutner dont fut accusé Dobermann quinze ans auparavant, retrouver le corps de ce dernier avec pour seules armes son sens de l'observation, son obsession pour l'ordre et sa pugnacité, c'est montrer à tous qu'ils s'étaient bien trompés sur son compte (mais en serait-il là s'ils l'avaient alors considéré ?).

Comme pour bien marquer cette (re)naissance, la dernière épreuve subie par Metzger et Pospischill est d'ailleurs une mort symbolique dans un sous-sol obscur, dont ils émergent trempés pour mieux être accueillis contre un sein maternel (pour notre héros, celui de son platonique béguin d'enfance, la généreuse et serbe concierge Danjela Djurkovic). Car Metzger sort de son trou est aussi une naissance à l'amour, pleine de retenue et de doutes pour ce jeune vieux garçon aux sentiments longtemps économisés.

La voix de Thomas Rabb est très incarnée, très chaleureuse, ce qui ne l'empêche nullement d'être drôle, avec ses sentences aphorisantes, ses étonnantes métaphores, ses positions morales ou philosophiques ou ses charges (par exemple contre l'Église catholique). Metzger sort de son trou célèbre la rencontre d'un anachorète avec ses semblables et le bonheur qu'il y a, finalement, à faire partie de l'humanité. Pour le meilleur comme pour le pire.
IvanSombre
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le 16 nov. 2013

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