Il est rare que j’aime aussi peu un livre dont j’approuve autant le propos. La plupart des réflexions qu’on y trouve sur la littérature et sur l’idéologie et l’histoire – pour reprendre la triade annoncée par le bandeau de couverture – qui lui sont attachées, un étudiant de deuxième ou troisième année de lettres modernes peut se les faire, pourvu qu’il ait un peu de recul sur sa discipline. Quand j’étais étudiant, d’ailleurs, je m’en suis fait certaines, et on m’a aidé à m’en faire d’autres : pêle-mêle l’idée que le roman est trop protéiforme pour mourir ; les apports tantôt salutaires, tantôt délirants du structuralisme ; la langue comme matière première de la littérature ; le déchirement entre Flaubert lyrique et Flaubert réaliste, qui d’après moi donne un Flaubert caustique ; le fait qu’un roman soit déjà une histoire ; et puis j’apprécie toujours qu’on chie sur Roland Barthes.
Non, ce qui, ou plutôt celui qui alourdit les trois textes qui constituent cet essai – deux conférences et un article du Monde de l’éducation –, c’est le romancier qu’est, au départ, Jean Rouaud. (Je n’ai jamais lu les romans de Jean Rouaud. Je n’en ai même aucun chez moi. Ils sont peut-être très bien. Je ne peux pas dire s’ils sont en adéquation avec ce que je connais de ses textes théoriques et critiques. Ça n’est d’ailleurs pas le sujet.) Un lecteur du futur qui tomberait sur Misère du roman se dirait probablement que Jean Rouaud, au moment où il l’a publié, devait avoir beaucoup compté dans l’histoire de la littérature de l’après-guerre, pour monter ainsi sur ses grands chevaux, pour s’attaquer à des conceptions du roman vivaces surtout dans les années 1960, pour exposer d’aussi hauts principes d’écriture : « je dois beaucoup à John Ford qui m’a appris à ne pas avoir peur du pathos, à ne pas faire dans la demi-mesure, à traiter pareillement l’épopée, l’émotion, le burlesque et le lyrique, ce qui revient simplement à accorder une réelle attention au monde, ce qui aboutit à être seul » (p. 86-87). Et puis, le bougre connaît mieux Stendhal que les stendhaliens eux-mêmes (p. 100) !
D’une manière générale, Misère du roman transpire la modestie affectée, qui apparaît au grand jour dans un passage comme « Dans les usines où l’on travaille le métal, il y a un métier qui consiste à façonner des pièces sur un tour, exercé par un ouvrier spécialisé qu’on appelle, en français, un tourneur-fraiseur. Comme j’aime à tourner et à retourner des phrases, je considère donc que ma spécialité, c’est tourneur-phraseur. » (p. 85). Mouais… On dirait du Erik Orsenna… Et au final, le fait que Jean Rouaud nomme rarement les auteurs vivants auxquels il s’attaque – par peur ? parce qu’il s’imagine que le lecteur est nécessairement au courant des amitiés et des inimitiés de Jean Rouaud ? cela reste deux mauvaises raisons – ne rend pas le livre plus attachant.

Alcofribas
4
Écrit par

Créée

le 11 nov. 2016

Critique lue 169 fois

2 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 169 fois

2

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 12 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

21 j'aime