Mofo
Mofo

livre de Olivier Simard (2021)

Incontournable Novembre 2021


Je peux vous dire qu'on a été étonné par novembre cette année, dans le département jeunesse en matière de livres destinés aux jeunes hommes. En un mois, on a reçu des titres tels que "Politiquement incorrect", "Jimmy Diamond est une merde" et "Mofo"[ Mo***r Fu****r] le principal concerné. On a même reçu "My dear Fu****g prince" ( une homoromance écrite par des femmes). Coupdonc! Que se passe-t-il avec les titres?! ( ton de rigolade) Bon, tout ça pour vous dire que nous avons reçu plusieurs romans destinés aux gars même si, évidemment, des filles peuvent les lire, dans la catégorie des Jeunes adultes ( 17 ans et +), avec , avouons-le, une amusante touche impertinente. Mais quel libraire je serais de ne pas m'en réjouir, car c'est un pied de nez à la censure - et soyons honnête, la Jeunesse est beaucoup plus censurée que la littérature adulte. Bon, trêve de hors-sujet.


Donc, qu'est-ce que "Mofo"? Je veux dire, au-delà de son sens premier qui est sans doute la pire insulte anglophone qu'on puisse faire à quelqu'un et qui, ironiquement, correspond aussi à un terme qu'on emploie entre chums de gars. C'est la tranche de vie de trois gars, trois amis presque devenus "hommes" et qui, avouons-le, sont de vrais couillons - pour rester poli.


Manu ( Emmanuel de son nom complet), Ray ( Rémi de son nom complet) et Thierry ( qui voudrait dont qu'on l'appelle "Blase") ont tous 16 ans ou presque. Ils se font appeler ( surtout entre eux, en fait) les "Rois de la Jungle" et si ce nom vous fait sourire, ça vous fera sans doute rigoler de savoir qu'ils ont choisi ce nom en fonction de petits manèges sur ressort en forme d'animaux, dans "leur" air de jeux. Leur "spot".


Nos trois ado-presque-adultes sont des as des mauvaises idées, vadrouillant au gré de leurs envies, buvant et consommant des drogues à défaut d'avoir de réelles ambitions, la tête remplie d'infos douteuses pigées sur les réseaux virtuels et de vraies quiches en matière de compétences sociales. Des "losers", j'ai envie de dire, qui se prennent un peu trop au sérieux. Et ils ont en tête que pour devenir des hommes, des "vrais", il faut qu'ils parviennent à se défaire de leur gênante virginité. Pour se faire, ils décident de faire un trip à Blackburn, un petit village où on y trouve , semble-t-il, trois filles pour un gars. Un tel déséquilibre ne peut générer que des femmes "en manque de sexe", semblent-ils croire. C'est donc au volant du véhicule de la mère de Manu, sans permis, sans bagages, que nos trois bras cassés entreprennent le road trip qui devrait, en théorie, changer leur vie. Avec des conséquences bien réelles.


Comme le dit si bien la 4e de couverture: " Mofo raconte l'histoire de trois ados un peu croches qui essaient maladroitement de devenir des hommes". C'est juste. Et à travers tout ça résonne aussi certains petits drames et enjeux sociaux.


J'ai rarement des romans pour ados garçons- encore moins pour jeunes adultes - qui versent dans ce genre de registre. Certes, des ados croches qui cumulent les bourdes et les mauvaises décisions, on connait, mais trouver quelque chose d'humain à travers tout ça, beaucoup moins.


"Mofo", c'est un peu de masculinité toxique, beaucoup d'ignorance et de manque d'expérience, un chouia de drame familial, c'est du potentiel gaspillé parce qu'il n'y a aucun support constructif autour, de la désinformation via les réseaux sociaux et Internet, un certain laxisme parental ou au contraire, un manque de compétences parentales, beaucoup d'idées stupides et impulsives, de vaines tentatives de se valoriser, de vraies tentatives pour changer, sans y parvenir, des liens tissés serrés malgré des mots un peu dissonants et un peu pas mal de quête identitaire. Un roman aussi "all dress" que le hamburger sur la couverture.


Aussi, après avoir écouté un reportage sur le sujet, il m'est apparu que le personnage de Ray semblait avoir une certaine compulsion à s'entraîner chaque jours, même lors du road trip, ce qu'on appelle "bigorexie". Il s'agit d'une dépendance au sport, qui se traduit par un besoin irrépressible de s'entrainer, sans considérer que le surentrainement comporte des risques pour la santé. La personne déprime s'il elle ne s'entraine pas et articule sa journée en fonction de cet entrainement. On appelle aussi la bigorexie "Anorexie inversée". Souvent causée par un problème affectif ou d'estime de soi, la bigorexie rentre dans les dépendances comportementale.(1) Ray a donc un forme encore peu connue de dépendance et j'apprécie beaucoup la fenêtre qu'y est ainsi faite sur le sujet.


Le roman a un côté "fresque" en ce sens où les courts chapitres sont souvent des aperçus des autres personnages qui apparaissent ( ou pas) dans le roman. On suit donc à la fois le périple, mais aussi les antécédents des trois ados via ces personnages ( ou pas, parfois c'est juste pour mieux cerner le contexte).


Manu, celui qui décrit, est aussi beaucoup plus intelligent qu'on pourrait le croire à priori, et ça, c'est marquant, parce que c'est un phénomène bien réel. Pas besoin d'être l'intello de l'école pour être intelligent. Par contre, quand on ignore quoi faire de sa vie, ni comment, même les plus intelligents peuvent vite devenir "loser". Ça m'a tellement fait rire le fait que Manu se fasse reprocher ses "jolis mots" ( développer, vertigineux, etc.), ça laisse entrevoir son côté Lettres ( Et Intello) et c'est mignon. Bon, ce l'est moins quand il se fait reprocher d'avoir un langage de "Tapette", mais bon, comme je disais, ils sont assez couillons.


J'aime ce genre de roman, cru, un peu brutal, mais ancré dans la réalité. "Mofo" n'est pas juste une suite de bêtises et de gros mots, c'est aussi une fenêtre intéressante sur la psyché de certains gars et même de l'adolescence de certains gars. Ou plus globalement, du fait se franchir le cap entre adolescence et adulte. On n'a pas souvent des romans pour être dans leur tête. La plupart du temps, les héros masculins sont dans l'action, pas dans l'introspection. Ou très peu. Ici, on navigue dans quelque chose de plus intime, de plus humain. Et sans censure, sans fioritures.


N'allez pas croire que parce qu'on y trouve des jurons et un langage vulgaire, souvent ponctué d'anglicismes , particulièrement à l'oral, que le roman n'est pas bien écrit. Hormis le langage, le reste est imagé, bien narré et on a foison de références à la culture populaire, aux objets du quotidien et à la vie du citoyen lambda. Langage de rue, terrain connu, on est à des années-lumière des histoires sensationnelles américaines irréalistes. Et en toute honnêteté, ça fait du bien.


Manu a un talent en dessin, dont les oeuvres vont nous suivre dans le roman.


Sans vous divulgâcher la fin, disons aussi que leur "rêve éveillé" connait une tournure aussi inattendue qu'irréversible.


Bref, je vois que j'exagère encore sur la longueur de cette critique, mais bon, les bons romans sont inspirants, que voulez-vous! "Mofo" surprend par sa pertinence, malgré son côté "croche". Je vous invite à découvrir ce roman singulier, à sa manière.


Pour un lectorat Jeune adulte, 17 ans+. Quoique ça pourrait aussi trouver preneur chez les 15-16 ans, il me semble.


1- Source: Sport Aide [ en ligne]: Bigorexie : Quand le sport devient une addiction, 27 mars 2020: https://sportaide.ca/blog/2020/03/27/bigorexie-quand-le-sport-devient-une-addiction/

Shaynning

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