Dragon, magie, tueuse : trio gagnant
Tueuse de dragons n'est pas une sinécure. Jennifer Strange, la dernière en activité, a des problèmes pour assurer sa charge.
Dans ce monde imaginaire, les dragons ne font plus peur, pas plus que les magiciens ne font rêver. L'univers fantastique mis en place par Jasper Fforde dans ce roman est assez déroutant. Dans les premières pages on suit Jennifer Strange, 16 ans seulement, directrice de l'agence Kazam, dans une intervention de magie pratique. Crise aidant, trois magiciens sont réquisitionnés pour changer, en quelques secondes grâce à quelques passes et formules magiques, toute la plomberie d'une maison. Une intervention éclair qui permettra de remplir les caisses de plus en plus vide de Kazam. Jennifer n'est pas magicienne. Elle supplée la disparition du directeur, M. Zambini. Jennifer est une enfant trouvée confiée à l'agence. Elle est nourrie et logée contre neuf années de « servitude ». On pourrait penser que c'est de l'exploitation, mais comparé aux dortoirs de l'orphelinat, c'est très agréable.
Quarkon et Grizz Crevettes
Par petites touches, en multipliant les portraits de magiciens (Dame Mawgon l'irascible, le Mage Moobin, Plein Tariff, Nasil, spécialiste du tapis volant) ou de personnages secondaires, Jasper Fforde plante ce décor qui fait parfois penser à la folie douce d'Alice aux pays des merveilles. On découvre tout ce petit monde par l'intermédiaire de Jennifer, la narratrice. Elle est en permanence accompagnée de son quarkon, un petit animal fidèle et dissuasif. « D'accord, on dirait un tiroir à couteau, explique-t-elle au nouvel enfant trouvé, Grizz Crevettes, et il a l'air d'avoir envie de te réduire en charpie mais, en fait, il est très gentil. Il ne mange pratiquement jamais de chats. » Grizz Crevettes est un peu le poil à gratter de l'histoire. Encore très jeune, il est cependant supérieurement intelligent et comprend tout, très vite. Notamment que Kazam a des problèmes financiers ou que Jennifer est contestée par certains magiciens.
La sagesse du dragon
La magie, dans ce roman, est décrite comme un talent que tout le monde a plus ou moins. Une seule certitude, elle est en régression, de moins en moins forte. Pourtant, d'un seul coup, elle s'élève vertigineusement. Cela correspond à une prédiction formulée par plusieurs clairvoyants : le dernier dragon, Maltcassion, sera tué dimanche prochain à midi par une certaine Jennifer Strange, dernière tueuse de dragons en activité.
En moins d'une semaine la vie de la jeune héroïne va basculer. Devenant effectivement tueuse, sa curiosité la poussera à discuter avec le dragon. Elle aura d'abord bien du mal à le localiser le confondant dans un premier temps avec un tas de pierres : « le tas de gravats s'est déplacé et j'ai senti le sol frémir. Le dragon a déroulé sa queue, l'a étirée, puis, s'en servant comme d'une brosse, s'est gratté le dos juste au-dessus des ailes repliées contre son épine dorsale. » Maltcassion, malgré son gigantisme, est loin d'être un monstre assoiffé de chair humaine comme le prétend la rumeur populaire. Le dragon se révèle être un sage plein de bon sens. Pourtant lui aussi admet que Jennifer le tuera dimanche à midi. Une chose que la jeune fille n'envisage pas. Et pourtant...
Jasper Fforde, en truffant son récit d'humour, british ou absurde, tient le lecteur sous son charme. Les amateurs de pure fantasy pourraient être déçus car il n'y a pas de grands combats ni d'exploits légendaires, mais il y gagnent au change car les aventures de Jennifer Strange se révèlent plus profondes, humaines et pleines de sens. Et une fois la dernière page tournée on n'a qu'une envie : retrouver Jennifer et Grizz Crevettes pour de nouvelles aventures. Et les pistes sont multiples, de l'origine de Jennifer, l'enfant trouvée, au mystère de la disparition de M. Zambini.