La philosophie est-elle morte-vivante ? Quel Loa préside à cette discipline ? Les philosophes sont-ils des mages vaudous ? Telles sont les questions que ne se pose pas ce livre, livre singulier qui évite l'écueil d'être uniquement un livre érudit sur les rapports entre philosophie et fiction pour nous emmener dès le premier chapitre sur cet hybride de philosophie et de fiction. Telle est l'origine de ce titre, une fiction disséminée en chapitres épars qui déploie l'histoire d'un homme qui se réveille, la tête séparée de son corps, mais vivant toujours, pouvant même diriger son corps à distance, comme un zombie. Où est le "je" alors, dans la tête ? dans le corps ? puisque ce corps c'est encore moi. Ce n'est qu'un cas pratique qu'utilise l'auteur pour creuser la question du sujet, de la fiction, de la philosophie de l’esprit et de sa prise sur le monde comme discours.
Ce faisant l'expérience de ce livre est assez singulière et augmente l'intérêt pour les développements de l'entrelacement entre fiction et philosophie - comment les œuvres (littéraires principalement et notamment touchant à l'imaginaire - de Borges à Wells) proposent des situations qui questionnent la philosophie - mais développant en même temps les rapports entre philosophie et fiction – c'est-à-dire comment on peut envisager la philosophie comme « expérience de pensée » (cire et Malin Génie de Descartes, morceau de sucre de Bergson, honte de Sartre, cerveau dans la cuve de Putnam, chambre chinoise de Searle, etc.), et mise à l'épreuve, via la fiction, de ses possibles.
Cette manière de faire de la philosophie est très plaisante, entrelaçant différents exemples d'extraits de fictions artistiques, de fictions philosophiques (l'histoire dudit zombie) et réflexions, tissant adroitement ces trois éléments ensemble. On pourrait soupirer si on nous proposait une énième application de la philosophie à partir de la fiction comme on le fait - pop philosophie oblige - à partir de telle ou telle série, de tel film à grand impact. Mais ce qu'on nous soumet c'est bien plutôt d'éprouver la philosophie par la fiction, et en proposer une méta-fiction, ou une « métathéorie » qui est une position tout autre, et il me semble réjouissante et assez novatrice. A la limite, dans une discipline fort différente dans ses enjeux, je retrouve chez Pierre Bayard vis-à-vis de la critique littéraire, cette tendance à subvertir les grilles de lecture « classiques » de sa discipline.
On reste dans des limites classiques (beaucoup de Descartes ; mais aussi du Leibniz et du Locke, et du Husserl au début), on ne pousse pas largement du côté de la philosophie de la fiction, mais de manière intéressante par exemple du côté de Wittgenstein, Cassou-Noguès prend le parti de lire ses propositions comme une fiction « ouvrant des situations possibles ». Car là est le cœur de sa démarche : lire la philosophie comme de la fiction et la fiction comme une façon d'interroger le monde des "possibles", les "variations imaginaires" de notre monde commun (et non postuler des monde possibles parallèles). Il ressort (sur la fin) de ce livre assez simple d'accès toute une réflexion sur le sujet, le corps et la machine, où de Searle à Descartes en passant par toute la SF, qui pose sans la résoudre - qui ouvre les possibles, donc - la question du sens, des structures et du langage, de l'imaginaire, de la « personne » et du « personnage ».